« Il est plus grand mort que vivant ! ». Cette apostrophe, adressée au Duc de Guise, par le roi Henri III, qui venait de le faire assassiner en 1588, pourrait s’appliquer à Philippe Séguin. Non qu’il ait été tué en ce mois de janvier, mais il y a de cela bien des années, quand, ceux qui lui tressent des louanges ont jugé bon de le laisser se retirer de la politique. Les Chirac, Giscard, Juppé et autre Pasqua, prompts à se précipiter au Val de Grâce ou sur les plateaux télé, n’ont franchement rien fait pour le retenir, lui qui portait si haut les valeurs de la République au point d’en être unanimement salué comme un grand Serviteur avec un S majuscule. C’est que, grande gueule et sale caractère, emporté, colérique, Philippe Séguin pouvait ensuite passer à la gentillesse ou à l’humour le plus vache voire à la plus grande mélancolie. Et cela collait peu avec les exigences de la politique : tueur jusqu’au bout des ongles alors qu’il se sentait cœur jusqu’au fond des artères.
Pourtant, Chirac a regretté l’ami, au même titre que Juppé, l’éternel rival, fils préféré de Chirac lors de son élection de 1995, alors que lui, Séguin avait été l’artisan du pacte social. Relégué au perchoir, il en avait conçu une profonde amertume et pris ses distances avec un milieu dans lequel il baignait, mais qui lui avait donné la douche froide. Alors, quand Pasqua pleurniche en évoquant le « frère d’armes » (parce qu’ils ont partagé le combat du référendum de Maastricht), on devine que s’il connaît bien le deuxième sujet, le premier semble peu opportun appliqué à Philippe Séguin, dont la probité paraît diamétralement opposée à celle de l’ex premier flic de France, englué dans les Angolagate et autres procès peu reluisants.
Bien sûr, Président de la Cour des Comptes, il a pu donner sa pleine mesure, et qui l’a vu dans les couloirs recevant l’actuel Président de la République, n’a pu que sourire face à cet ogre habillé d’hermine, tel un Raminagrobis invitant la souris Sarko, si petit, si frêle dans son ombre. On devine combien ce poids, parfois gênant, cette tête posée sur ce corps imposant, pouvaient impressionner et combien les éloges d’aujourd’hui masquent la crainte qu’il pouvait inspirer. Peur d’un homme qui pouvait afficher des idées de gauche à droite et surtout incontrôlable, prêt à tout plaquer à la veille d’élections et à faire perdre son camp. Dernier représentant d’un Gaullisme social dit-on, Séguin était une figure Rabelaisienne dans un univers de culs bénis et de coups tordus. Lui le Gargantua pouvait difficilement s’accommoder des compromis nécessaires à la cour du Prince.
C’est pourquoi il se sentait bien à la Cour des Comptes, libre de toquer et re-toquer, même s’il savait que son pouvoir s’arrêtait à la remise de rapports où il dénonçait la gabegie de l’Etat. En fidèle Serviteur, avec un grand S, comme Séguin, désormais encensé par tous, il peut reposer en paix et vérifier si Dieu est un fumeur de gitanes. Et puisque Sarko s’est vu privé de Camus au Panthéon, il pourrait avoir l’idée de récupérer notre héraut. A Philippe Séguin la patrie reconnaissante, de lui avoir laissé croire en ce début 2010 qu’il y avait encore de grands hommes !
Henri-Jean Anglade
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