Henri-Jean nous fait aujourd'hui l'éloge de la lenteur. Précipitez vous pour lire son billet !
Dans un monde en perpétuel mouvement, régit par la rapidité, où tout se juge et se jauge à l’aune de cette quasi instantanéité qu’Internet a suscité, il est bon de savoir goûter le temps présent et de se poser. Loin de ces aléas, de ce tourbillon, de cette surface des choses qui, en définitive, n’éclaire rien mais obscurcit la raison et la réalité. Car celle-ci ne tient plus qu’à la représentation virtuelle que les gens s’en font, préférant l’ersatz à l’original. Le vintage a gagné les esprits, le goût du jour puise son inspiration dans le passé en le revitalisant pour coller aux attentes du marché. Le vrai faux pour habillage contemporain. Et le marché digère les tendances sans se soucier de les apprécier vraiment : il faut consommer et passer à la suite. Demain sera un autre jour, on fabrique du désir factice à la pelle, c’est l’appel du vide.
Vitesse et précipitation : le précipice
Vite, vite, il faut recycler, sans cesse proposer du nouveau et provoquer l’obsolescence. Le bonheur d’acquérir du neuf en guise de contentement ou d’assouvissement. A moins que ce ne soit d’asservissement.
Ah quel malheur, il est un modèle qui souffre de vieillissement prématuré, d’usure programmée, de sénescence biologique, de processus physiologique de lente dégradation, c’est l’homme, confronté à l’avancement de l’âge et à l’inexorable fin. Cette lenteur là, chacun cherche à la repousser, à l’apprivoiser, à la dominer, à la soumettre au choc contradictoire de la vitesse, comme repoussoir, comme gage de vitalité. C’est le phénomène du shaker : j’agite le bocal dans tous les sens pour donner l’impression que le mouvement vaut l’action et que l’action équivaut à l’énergie. Cogito ergo sum laisse la place à une autre formulation : Agito ego vroum !
Sans perdre de temps, il faut agir, réagir, rugir, vrombir, pétarader, parader, avancer, courir, (se) dépenser, faute de quoi le surplace va engendrer une perte d’équilibre et la chute. C’est ainsi qu’on nous calibre, qu’on nous angoisse, qu’on nous manipule, qu’on nous dicte le bien fondé de toute action : surtout fuir l’immobilité et se régénérer, se ressourcer, se fluidifier dans la mobilité.
Les bé-attitudes (eh bé quoi ralentissez !)
Stop ! Feu rouge. Marquer un temps de pause. Arrêter le temps ou plutôt lui donner des vacances. Pas celles de l’entassement, de l’engorgement, de l’encombrement, non, celles du temps libre comme on part en roue libre. La liberté de faire ou de ne pas faire. Mieux, de défaire. Défaire les liens, les habitudes, les lacets. Partir nu pieds, nu dans son corps et dans sa tête. Et apprendre à désapprendre cette obsession du temps. Fuir les rendez-vous, oublier sa montre, regarder les étoiles, la course du soleil. Admirer la nature, son rythme souverain, cette leçon d’humilité à l’échelle humaine. Que sommes-nous ? Des intrus, des passagers, des passants, des importuns, des hurluberlus, des zozos qui veulent parler à Zarathoustra ? Quête de sens plutôt que plein de diesel, la route est longue pour y parvenir. Raison de plus pour faire de la lenteur un mouvement de fond, abandonner les oripeaux du chaland pour adopter le pas nonchalant, celui de la cigogne.
Emprunter les chemins de halage et sortir des sentiers battus, à croiser l’escargot et le hérisson, non plus pour écraser mais pour observer et protéger. En un mot, considérer la lenteur comme un atout et faire du dilettantisme une philosophie de l’émerveillement.
Henri-Jean Anglade
… suite de cette chronique estivale, en se hâtant lentement, demain ou un autre jour, autour du speed dating et autres balivernes ou comment faire coïncider amour et farniente.
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