Un super article mode-de-visite des Rencontres d’Arles (by HJ Anglade) : une « Parade » un peu pépère : Des ors, des stucs, des colonnades, des tabernacles, des autels et des vitraux, quand ils subsistent, Arles est devenu en vingt ans le temple de la photographie et cette nouvelle religion autour du 8ème art s’expose souvent dans des édifices religieux, la plupart du temps désaffectés depuis longtemps et réaffectés à cette quête d’un autre dieu, l’image !
Viatique pour des Rencontres
Il n’est qu’à se déplacer dans la ville envahie d’amoureux des Rencontres, appareil en bandoulière ou guide sous le bras, de l’église Saint-Blaise au cloître St Trophime en passant par l’église Saint-Anne, la chapelle de la Charité, l’église des frères prêcheurs, l’église des Trinitaires, le couvent Saint Césaire ou encore l’église Saint-Julien, pour s’apercevoir que la ferveur a changé de camp et que désormais ces nouveaux lieux de culte mémoriels, s’ils ont perdu une partie de leurs attributs chrétiens, n’en sont pas moins exposés au regard avide des milliers de touristes en mal d’identité.
Corpus photographique, dédale de l’âme
Les identités, territoires de l’intime, c’est justement ce que propose Denis Rouvre (église Saint-Blaise), avec des portraits qui forcent l’attention, anonymes déclinant (et définissant) leur identité sous l’œil précis du photographe. Cette acuité sur fond noir donne une grande présence à ces visages, dont certains reflètent les tourments d’une vie bien cabossée.
En descendant de l’Hauture (quartier haut des Arènes), près de l’hôtel César qui s’est récemment refait une beauté, habillé par Christian Lacroix, ce dernier joue sa partition de commissaire d’une exposition en quête de l’Arlésienne, thème qui lui est cher. Celle-ci se présente sous forme de photos anciennes des Reines d’Arles, jeunes femmes censées symboliser l’arlésienne type, que le couturier recherche dans d’autres portraits plus contemporains, et plus intéressants. Le patchwork mérite le détour d’autant que la visite offre l’avantage de découvrir une église habituellement fermée, la chapelle de la charité, d’un style baroque qui convient fort bien au dispositif mis en place par Christian Lacroix.
Un peu plus loin, David Bailey s’expose dans une église Sainte-Anne trop grande pour lui, comme si son talent, pourtant reconnu aux quatre coins de la planète Hollywood, avait du mal à se confronter à l’espace. C’est qu’il ne suffit pas d’avoir mis en boîte les plus grandes stars des années 70-80 pour pouvoir tutoyer Dieu. Les photos, la plupart en noir et blanc, s’alignent de chaque côté mais ce photomaton de gloires passées et présentes de la chanson ou du cinéma semble aseptisé. Ils sont là, ils grimacent, ils sourient, ou pas, ils offrent un instant de leur précieux temps mais cette mise à nu tourne à vide. Seuls quelques portraits de photographes, dont celui de Jacques-Henri Lartigue, à l’entrée (à droite) prennent une certaine dimension sentimentale. Pour le reste, clic-clac, c’est posé, c’est factice, c’est sans artifice mais artificiel.
Heureusement, en face, au Palais de l’Archevêché, (1er étage), la collection Hunt réserve d’étonnantes surprises et une curieuse balade dans l’Amérique des années d’entre deux-guerres. Exclusivement des photographies de groupes, de toutes sortes (sportifs, foules, militaires, meetings politiques), souvent de formes panoramiques, dans des encadrements de bois, de paille, tarabiscotés, ce qui les rend encore plus familières, comme si elles avaient été décrochées d’une maison la veille. Un côté vintage authentique pour une signature invisible mais qui frappe par cette unité dans cette collection patiemment constituée. La foule y a un visage, mille visages, et c’est celle d’une Amérique qui semble généreuse, insouciante, militante, jamais prétentieuse. L’addition de ces portraits de groupe frappe par la force commune qui s’en dégage. A l’inverse de l’exposition consacrée à David Bailey, ici l’anonymat dans la masse donne au contraire une personnalité à la foule. Et une bienveillante neutralité qui n’existe pas dans la précédente.
Rencontres du 3ème âge : l’amicale des retraités. Au siège des Rencontres, rue du docteur Fanton, pendant que Jean-Noël (Président encore en exercice) prêche pour sa paroisse avant de passer la main à une nouvelle équipe (légères bisbilles au sein de la manifestation entre les pro-public et les pro-mécénat dont la milliardaire Maja Hoffman est la figure emblématique avec le projet des Ateliers et la tour Gehry qui verra le jour d’ici 2017), l’église des Frères Prêcheurs invite à la fraîcheur intérieure.
Raymond Depardon y donne rendez-vous sous les voûtes de cette église qui a subi les outrages révolutionnaires avec un hommage à la génération perdue, celle de 14 et un tour de France des monuments aux morts. Le lieu sied à ce recueillement, mais là encore, les photos y sont des catafalques. Le sujet sans doute n’autorise pas la fantaisie mais les photos de Depardon semblent figées dans cet environnement et l’angle de vue très conventionnel. C’est doublement ennuyeux, pour ce que cela montre et pour l’absence d’émotion.
Seule, une enclave dans cette exposition, à partir des photographies de Léon Gimpel offre un contraste saisissant et éminemment troublant. Il s’agit d’œuvres fixées sur verre en 1915 qui mettent en scène des enfants jouant aux soldats, mimant la guerre, pendant que leurs pères sont au front, dans des attitudes aussi vraies (peloton) que décalées (aviateur). Cette « Guerre des gosses » vaut à elle seule le détour par ce lieu qui jouxte les thermes de Constantin et le musée Réattu où Lucien Clergue joue de la lumière des corps dans ses « nus de la mer ». Les Rencontres pouvaient-elles s’éviter cet hommage au fondateur de la manifestation ? La réponse est non. Dommage que les photos sélectionnées soient si convenues.
Enfin, de l’air frais venu du Brésil
Ce qui l’est moins, et qu’il convient d’admirer, c’est l’exposition à l’église Saint-Anne de Vik Muniz. Cet artiste brésilien compose d’immenses tirages à partir de fragments de milliers de photos récupérées ici ou là. De cette malle, il ressort d’étranges projections de portraits en noir et blanc, légèrement jaunis, brunis, qui se regarde presque comme des peintures dont les aplats seraient formés par ces myriades de photos savamment éparpillées, rangées, classées et assemblées. Le procédé vaut aussi pour les cartes postales colorées qui font des scènes de villes d’un imaginaire déluré et somme toute très onirique. Voici, à mon avis, l’une des principales révélations de ces Rencontres d’Arles.
En attendant le prochain millésime
La visite provisoirement s’achève sur ce que l’on voudrait être une note d’espoir, à l’église Saint-Julien, bel édifice gothique, près du quartier de la Cavalerie, avec un WIP intitulé pour ce millésime « La part des anges ». Ce Work in Progress réunit les propositions de 35 jeunes artistes étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Si le nom de ce parcours est une invitation à la dégustation, hélas, point d’euphorie distillée par ces travaux estudiantins qui manquent cruellement de vie. C’est laborieux, pesant, terriblement conceptuel. A croire qu’on leur demande un regard décérébré ou clinique et que, plutôt que de s’affirmer par une singularité visible, on exige d’eux un regard froid sur les êtres et les choses, une pseudo originalité appliquée à un terrain vidé de sens. Dommage, le prochain cru sera peut-être mieux distillé.
Henri-Jean Anglade
Les Rencontres d’Arles Parade : 50 expositions de photographie du 7 juillet au 21 septembre
(tous les jours de 10h à 19h30) www.rencontres-arles.com
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