Masque... mortuaire : Michel, Jean-Loup, Guy... et les autres
Le destin les a réunis en un bouquet final, avec par ordre de sortie Michel Piccoli, Jean-Loup Dabadie puis Guy Bedos. Un tiercé perdant, 12, 24, 28, pour un mois de mai pas très gai. Et si ce n’est pas la pandémie qui les a emportés, c’est quand même dans cette période que leur mort s’ajoute au grand deuil national.
Plutôt qu’une couronne mortuaire, une épitaphe fleurie pour tresser leurs lauriers en guise d’adieu à une époque qu’ils ont incarné à tour de rôle, séparément ou en commun, et même en communauté, comme ce fut le cas dans les comédies à l’italienne d’Yves Robert tandis que Piccoli rembobine « Les Choses de la vie » dans un ultime salto filmé avec brio par Claude Sautet et en arrière-plan, « la chanson d’Hélène » murmurée par Romy Schneider. Quelque chose des années 70 qui leur colle à la peau et nous revient en mémoire.
Dahlia aux couleurs éclatantes pour Piccoli qui a su interpréter toute la palette des sentiments humains en jouant « Le charme discret de la bourgeoisie » avec le sourire enjôleur d’un « Don Juan » et un appétit de vivre insatiable que « La Grande bouffe » a provisoirement rassasié avant, sur le tard et à un âge canonique, de se retirer des écrans sous la tiare et dans la gloire consacrée de « Habemus Papam ». Buñuel, Ferreri, Godard, Sautet, Blier, Scola, Ruiz, Chabrol, Doillon, Malle, Rivette..., lui ont apporté sur un plateau des personnages complexes à qui il a su ajouter, sans aucun « Mépris » et toujours à la limite de faire « Le Saut dans le vide », beau film de Marco Bellochio, une pirouette dont il était coutumier. « Milou en mai », toute l’énergie de l’acteur révèle l’épicurien Piccoli.
Colchique dans les prés, éclectique dans ses goûts, un parfum de nostalgie pour Dabadie, comme une belle soirée d’été où les amis sont réunis, « Vincent, François, Paul et les autres » avec qui il a collaboré. Claude Sautet qui fait le lien avec Piccoli dans cette chaîne d’amitié. « Un éléphant ça trompe énormément » qui le rapproche de Guy Bedos dont il est le parrain de son fils Nicolas. « Un jeune homme de lettres » qui souhaite « Bonne fête Paulette » et place son sketch dans la bouche de Guy Bedos. L’amitié est une vertu qu’il a toujours su magnifier. Jongleur des mots, peintre des émotions, pastelliste des sentiments, il sait couler ses paroles dans la musique des autres, Julien Clerc, Michel Polnareff, Serge Reggiani, Marie Laforêt, Nicole Croisille..., ce touche-à-tout a le talent multiforme et tout ce qu’il touche vaut de l’or. « On ira tous au paradis » et on reste sur un petit nuage grâce à la tendresse de Dabadie.
Rose pour les épines et par symbole pour le PS auquel il a donné sa voix, cet écorché vif de Bedos a soutenu Mitterrand tout en répétant que « en politique, il faut choisir entre deux inconvénients ». En rébellion depuis l’enfance, à cause d’une famille mal assortie à ses affinités, Guy Bedos s’en est très tôt émancipé et a pris la tangente en même temps qu’il quittait l’Algérie. Il a fait sienne la philosophie de Sacha Guitry, pourtant peu en adéquation avec l’image paternelle qu’il recherchait ; « Depuis que j’ai compris quels étaient les gens que j’exaspérais, j’avoue que j’ai tout fait pour les exaspérer ». Muni de ce viatique, il a bâti sa vie et sa carrière, en duo avec Sophie Daumier, en solo par la suite. Traité de gauche caviar par ceux qu’il dénonce, préférant le couscous il s’entête à les prendre comme tête de turc, à droite comme à gauche, tenant le micro comme un punching-ball et tapant sur les têtes d’affiche d’une politique qu’il ne prend pas très au sérieux. Nadine Morano, traitée de connasse en sera pour ses frais et déboutée. Mais ses titres de gloire font plutôt référence à l’esprit des Copains, film d’Yves Robert ou à sa cruelle ironie quand il endosse l’habit du pitre dans la Résistible Ascension d’Arturo Ui de Brecht qu’il jouera dans une mise en scène de Savary à Chaillot. Le rideau est tombé. Comediante, tragediante ! Faux dilettante, vrai mélancomique. Avec Bedos, la mort est tombée sur un os. Elle va se marrer et en perdre ses faux cils.
Clap de fin pour ces trois-là, trois mousquetaires dont le quatrième serait déjà parti, ayant devancé l’appel du fossoyeur. Cela pourrait être dans ce rôle de l’absent, Serge Reggiani le rital généreux, Victor Lanoux le râleur de mécaniques ou encore Jean Rochefort, le séducteur contrarié, tous trois complices de carrière à des moments donnés.
Le hasard du calendrier et les défaillances du cœur ont voulu qu’ils partent ensemble, qu’ils quittent la scène comme on quitte la table, ciao les artistes !
Henri-Jean Anglade --->à suivre.
Les commentaires récents