(épisode 60) Petit comparatif historique à usage des esprits déconfinés
10 dates-clés (sans remonter aux calendes grecques) en démarrant à l’ère chrétienne histoire de fixer un cadre sur l’échelle du temps, pour donner un peu de mesure à ce qui nous arrive et ce qui est arrivé jadis.
2000 ans de peurs et d’épidémies :
. 165 : la peste Antonine qui serait en fait une épidémie de variole frappe au cœur de l’Empire romain à son âge d’or. Le nom fait référence à l’empereur Antonin dit le Pieux et à cette dynastie éponyme qui regroupe les empereurs emblématiques de ce siècle dont Trajan et Adrien. Outre une dizaine de millions de morts durant une période qui court jusqu’en 189, certains historiens s’accordent à penser que cette épidémie a contribué au déclin de l’Empire romain d’Occident. Edward Gibbon, célèbre historien britannique a consacré un ouvrage fameux sur ce thème « Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain » publié en 1776. Il reste d’une parfaite actualité et pourrait être décliné à l’Europe d’aujourd’hui en proie à ses divisions internes et son incapacité à faire face aux défis du monde jusque dans son impréparation à la Covid-19.
. 541 : la peste de Justinien, du nom de l’empereur romain d’Orient, est la première pandémie mondiale, du moins tel que se définissait alors le monde autour du bassin méditerranéen. Elle aurait démarré en Egypte avant d’atteindre Constantinople, capitale de l’Empire byzantin puis se serait propagée de l’Irlande à la Mésopotamie en frappant tous les pays. On parle de 10 000 morts par jour au printemps 542 et Grégoire de Tours, l’un des premiers historiens avec son Histoire des Francs rapporte que les provinces françaises sont durement touchées. La pandémie, avec un bilan estimé à 25 millions de morts, va se poursuivre par vagues successives et Rome n’est pas épargnée pas plus que le pape, Pelage II, qui meurt en 590. Alors que Justinien avait réussi à reconquérir une partie des frontières de l’ancien Empire romain, la peste stoppe cet élan et affaiblit durablement l’Empire Byzantin. Par contagion, l’empire Sassanide voisin, dynastie perse et grande puissance en Asie de l’Ouest, est atteint si bien qu’on peut considérer que l’expansion de l’Islam profitera de ces circonstances au cours des siècles suivants car la pandémie va se poursuivre par épisodes jusqu’au VIIIème siècle. De l’influence de la pandémie sur la géopolitique, voilà un exemple historique qui ne manque pas d’écho avec ce début de XXIème siècle (conflit syrien, guerre en Lybie, expansionnisme turc, problème iranien, crise au Liban...).
. 1337 : coup d’envoi du match des deux nations, la guerre de Cent ans (qui durera 116 ans en fait, jusqu’en 1453, autre date fatidique). Plantons le décor : le conflit larvé entre Plantagenêt et Capétiens déborde et échappe à tout contrôle. La France sert de champ de bataille et les belligérants s’en donne à cœur joie au plus grand malheur des populations locales. Victoires françaises, défaites anglaises et vice versa, surtout le vice guerrier. Un coup la piquette chez les uns (1415, Azincourt, défaite de la chevalerie française), un coup de pique chez les autres (Jeanne d’Arc qui botte le cul et boute l’anglais en 1429 au siège d’Orléans), c’est sans doute pourquoi les anglais apprécient notre « piquette » et en particulier le Bordeaux même si les Bourguignons ont parfois joué un tour de cochon dans des alliances troubles voire doubles. Moralité de l’histoire : le Moyen-âge accouche de la Renaissance (c’est positif) mais les deux pays sortent exsangue de cette hécatombe qui a fait des centaines de milliers de morts militaires et probablement beaucoup plus côté civil. Dans la foulée, la grande Jacquerie de 1358 préfigure les Gilets jaunes et les papes s’installent en Avignon (sans cause à effet). Près de six siècles après, le Brexit plane entre nos deux pays comme une ombre passagère ou une sombre revanche.
. 1346 : la peste noire (rien à voir avec les Blacks) touche l’Europe mais aussi le continent asiatique et l’Afrique du Nord. En quelques années, elle fait 25 millions de victimes chez les Européens soit entre le tiers et la moitié des habitants. Conséquence, la pandémie frappe de plein fouet les économies des différents pays et porte un coup fatal à l’empire Byzantin qui ne s’en relèvera pas (1453, chute de Constantinople et début des emmerdes avec les Turcs). Ce qui a pour conséquence un basculement géopolitique avec la victoire de l’empire Ottoman. On voit ici à quoi rêve, cinq siècles plus tard, Recep Tayyip 1er l’air doguant en replaçant ipso facto la basilique Saint Sophie sous la tutelle religieuse et ombrageuse des siens. Toute comparaison avec notre époque n’est pas forcément fortuite !
. 1665 : coup sur coup, Londres est menacée deux fois. Pas (encore) par les missiles, ce n’est pas le Blitz, comme en 1940-41, mais Bubonitz, la peste bubonique qui décime une grande partie de la population durant l’hiver 1664-65. Et ce n’est pas l’aviation allemande qui est coupable avec ses bombardements mais des bateaux en provenance des Pays-Bas. Il s’agirait d’importation de ballots de soie et de lots de fourrure parvenus sur la Tamise malgré l’embargo imposé par la guerre anglo-néerlandaise. Défaut de prudence ? Pourtant, la peste avait aussi frappé Amsterdam. En tout cas, le capitalisme est déjà un commerce mortel puisqu’il fait plus de 100 000 victimes soit environ 20% de la population de Londres. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, l’année suivante la capitale est ravagée par les flammes. Enfer et damnation, après la peste, ce sera le grand incendie de Londres de 1666. Le chiffre de la « bête » aurait dû alerter les autorités qui n’ont pas su éteindre le feu. Résultat, la City brûle ainsi que plus de 13 000 maisons, 87 églises et la cathédrale Saint-Paul jusqu’à menacer le souverain, Charles II à Whitehall. Londres sera entièrement rebâtit, les rues élargies, la voirie améliorée et, plus tard, Boris Johnson sera élu son maire en 2008. Comme quoi, le Phénix renaît toujours de ses cendres.
. 1709 : la grande famine se trouve à la conjonction d’un double phénomène, politique et météorologique avec une crise financière qui débouchera sur le système de Law et sa banqueroute (une sorte d’effet papillon). Pour ceux qui n’auraient pas suivi leur cours d’histoire, voici un bref rappel des faits : la guerre de Succession d’Espagne vient percuter le petit âge glaciaire. De manière moins sibylline, et grosso modo, Louis XIV place son pion sur le trône d’Espagne, à savoir son petit-fils qui devient Philippe V à partir de 1701 ce qui n’a pas l’heur de plaire aux Autrichiens dont le dernier Habsbourg, branche espagnole, vient de mourir. Cela dit, quand on voit sa tronche, on se dit qu’il valait mieux arrêter là les frais de la consanguinité. Résultat, une guerre qui met un terme à la puissance espagnole et voit la France confortée dans ses alliances. Ce conflit qui assombrit la fin du règne du Roi-Soleil coïncide aussi avec des hivers très rigoureux qui causent une flambée des prix des céréales et plusieurs famines successives, dès 1693-94 dont celle de 1709 est l’acmé. Avec pour corollaire, d’après l’historien Le Roy Ladurie, 2 millions de décès pour une population d’environ 20 millions d’âmes entre ces deux périodes. Autant dire que l’impact démographique est très important et qu’il sera lourd de conséquences pour la suite sous le règne de Louis XV et la rivalité avec la Grande-Bretagne qui ne tournera pas à notre avantage au traité de Paris en 1763. Mais ça, c’est une autre histoire.
. 1720 : la peste de Marseille, qui ne fait pas référence à Mélenchon ou aux mandats de Gaudin, est une résurgence de la deuxième pandémie de peste (rappelez-vous, la première sous Justinien, la deuxième, au Moyen-Âge) qui court en fait jusqu’au XIXème siècle où elle frappera tour à tour le Saint-Empire Romain Germanique (ce n’est pas encore Angela Merkel mais une préfiguration) en 1738, Moscou en 1770, les Perses (l’Iran actuel) peu après en 1772, l’Egypte en 1791 (voir – au Louvre - le célèbre tableau du baron Gros « Les pestiférés de Jaffa » durant la campagne d’Egypte de Bonaparte en 1799), et l’on peut ainsi continuer avec un reliquat pesteux chez les Ottomans en 1812 et à nouveau chez les Perses en 1835). Mine de rien, ces petits bouts d’épisodes de peste s’ajoutent à la longue liste des victimes et l’allongent d’environ 3 millions de morts supplémentaires. Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos innocentes victimes de la peste de Marseille qui vont tomber dans le piège du bateau le Grand Saint-Antoine qui vient d’accoster dans le port. Faute d’avoir été mis en quarantaine, ce navire qui vient du Levant (c’est-à-dire l’actuelle Syrie) est autorisé à décharger sa cargaison d’étoffes et de balles de coton. Erreur fatale, le bacille est tapi à l’intérieur et il va contaminer à la vitesse grand V toute la cité phocéenne si bien qu’on enregistrera près de 40 000 décès pour 80 à 90 000 habitants avant que la Provence soit à son tour touchée avec une propagation fulgurante qui fera plus de 100 000 victimes. Dans un bel élan de solidarité, les édiles feront preuve de courage et l’évêque de Marseille, Monseigneur Belsunce, mouillera la chemise et la mitre, y gagnant au passage une belle réputation et accessoirement un cours qui porte toujours son nom. Depuis, la peste soit des quartiers Nord (pour certains) mais nul doute que la nouvelle municipalité conduite par Michèle Rubirola, et élue pour ça (entre autre avec l’appui de Samia Ghali) saura enrayer la crise et redonner de l’air frais et purifié à cet arrondissement de Marseille qui en a bien besoin.
1788 : la crise alimentaire et le début des tuiles. Des conditions météorologiques désastreuses et de mauvaises récoltes préfigurent la suite ; cherté du blé, manque de pain, montée des prix, la machine à faire des révolutions est en route. Déjà la faim du jour avant la fin du mois et au final, le résultat aboutira à la fin d’un monde. D’autant que la révolte gagne les provinces et nos futurs sans-culottes sont prêts à en découdre. Le 7 juin 1788, à Grenoble c’est la journée des Tuiles. En effet, la population locale, en soutien des parlementaires, est montée sur les toits pour bombarder les soldats venus arrêter les représentants du Dauphiné. Ces tuiles enclencheront les Etats Généraux, qui n’avaient pas été réunis depuis 1614, excusez du peu, et cet incident d’apparence anecdotique réveillera le Tiers-état et quelques tribuns dont Mirabeau ce qui débouchera sur la Révolution française, rien moins que ça. Cet exemple de Gilets jaunes avant la lettre (de cachet), pris positivement, dans la tourmente révolutionnaire aboutira malgré tout à quelques excès dont la Terreur est l’une des pires de notre histoire avec des dizaines de milliers de personnes guillotinées, fusillées et noyées. Massacres de septembre 1792, noyades groupées à Nantes, femmes et enfants sans distinction, la répression durant ces années-là, 1793-94, fut terrible. Comme quoi, ça ira, ça ira, mais le refrain de la chanson peut aussi avoir un goût amer. Mélenchon qui prend des allures de Robespierre et en appelle au peuple sous couvert de renverser la monarchie présidentielle honnie pour mieux s’installer dans le fauteuil après avoir coupé les têtes, n’est-ce pas l’un des paradoxes d’une histoire qui tourne en boucle depuis deux siècles* !
. 1832 : Peste 0 mais Choléra 100 000 (en six mois). C’est en Inde que le choléra fait son apparition en 1826 puis en Russie en 1830, en Allemagne en 1831, il est à l’origine d’émeutes qui gagnent également le Royaume-Uni en février 1832 et la France en mars. Le Président du Conseil Casimir Perier en meurt au début de la Monarchie de Juillet tout comme des milliers de parisiens. Via l’immigration irlandaise, le Canada est touché à son tour, puis New-York et l’Amérique latine. En tête de cortège des célébrités, Champollion, Sadi Carnot ou encore Charles X (en exil) en mourront et surtout beaucoup d’anonymes. Le roman de Jean Giono « Le hussard sur le toit » en atteste et met en scène un colonel des hussards bondissant sur les toits de Manosque en pleine épidémie. En quelques chiffres, cette vague fera plus de 100 000 morts en France, en Russie au moins un million, aux Etats-Unis environ 150 000 et au Japon jusqu’à 200 000 victimes. La sixième vague sera active jusqu’en 1923 et la septième, encore proche de nous, puisqu’elle a sévi entre les années 70-80 avec moins de force. Du coup, notre deuxième vague actuelle (Covid-19) devrait nous alerter sur les risques encourus et ne pas prendre les mesures à la légère. L’histoire ne se répète pas deux fois mais ceux qui se la pètent peuvent bien périr une fois (pour toutes).
1870 : Sedan ou la défaite en serrant les dents. En tant que tel, ou en apparence, ce n’est qu’une histoire entre deux égos, Napoléon III et Bismarck qui se jaugent, se jugent et l’un des deux qui gruge l’autre. En réalité, c’est toute l’histoire récente qui procède de là et dont on a tout fait pour sortir par la grande porte de la Communauté Européenne en 1957, d’où la déception de ceux qui espéraient un vrai fédéralisme. Mais ça c’est une autre histoire... Revenons à 1870, guerre-matrice du XXème siècle où se joue le passé, le traité de Vienne de 1815 que la Prusse ne trouve pas assez avantageux à son égard (et trop favorable à l’expansionnisme autrichien), le présent, Napoléon III affaibli par son aventure désastreuse au Mexique et abusé par une dépêche (peu) diplomatique déclare la guerre à Guillaume de Prusse en jetant ses forces, faibles, dans une bataille perdue (140 000 morts côté français à quoi il faut ajouter par inconséquence, la Commune de Paris avec la famine, les fusillés, la guerre civile et l’accouchement dans la douleur de la IIIème République) qui débouche sur l’engrenage du futur, à savoir la perte de l’Alsace et la Lorraine et un esprit revanchard qui conduira à la Première Guerre mondiale. Une véritable épidémie guerrière qui va sourdre entre les deux pays pendant plus de quarante et aboutir à la boucherie de 1914-18.
Alors, si vous hésitez encore à choisir votre date-repère dans ce « Top Ten » des joyeux massacres et des horreurs de la guerre où les épidémies sont venues en rajouter une couche, avec à la louche, bon siècle, mal siècle, quelques millions de morts à chaque vague, le prochain épisode avec sa cohorte de conflits, cette fois-ci mondiaux (on n’arrête pas le progrès), et autres virus mortels à l’échelle planétaire devrait vous intéresser. Parce qu’après 19 siècles de ce régime amaigrissant pour la population, le 20ème nous a réservés quelques (néfastes) surprises dont la première qui nous pendait au nez (voir le point 10 précédent). Si bien que quand les autorités, faisant preuve d’autorité, nous parlent de guerre, il est bon d’user de mots justes et relatifs au contexte.
Henri-Jean Anglade
(à suivre...)
* A la question posée « Auriez-vous voté la mort du roi » dans la Revue des deux mondes en novembre 2015, Jean-Luc Mélenchon répondait :
« Oui, sûrement ! ». Une franchise coupable ou une évidence assassine ?
Demain les 10 dates à connaître pour éviter de croire que la crise actuelle est pire que toutes celles qui l’ont précédée et apporter un peu de nuances dans ce monde d’incultes.
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