Municipales : théâtre de verdure
Conséquence directe de la crise liée au covid-19 ou crise indirecte de la démocratie infectée par le virus de l’absentéisme, le second tour des Municipales n’a fait que confirmer le désintérêt de nos concitoyens pour la politique, fut-elle à hauteur des enjeux locaux.
Et pourtant, même si l’abstention a atteint des records, frisant les 60% au national et dépassant les 75% parfois - ce qui conduit certains élus à ne recueillir que 10 à 11% des inscrits comme ce fut le cas à Vaux-en-Velin (Rhône) ou à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) – ce faible étiage a permis de dessiner une France désormais Bleue-Blanc-Verte.
Le rouge a quasiment disparu du paysage ou bien s’est dissous dans une purée verte qui à l’inverse des algues de la même coloration semble prendre le dessus avec l’assentiment des riverains. Ainsi, le PCF a perdu deux bastions historiques, Saint-Denis, seule mairie de plus de cent mille habitants qu’il détenait depuis 1944 et Arles, la petite Rome des Gaules, assoupie sur les bords du Rhône mais ragaillardie par les projets culturels, où Patrice de Carolis a ravi le siège au dauphin désigné de l’ancien maire, Nicolas Koukas, étiqueté riz rouge mais qui avait plutôt semé l’ivraie. De son côté, la nécropole royale du 9.3, déjà pillée par les révolutionnaires en 1793, est ainsi devenue le tombeau de la faucille et du marteau. Juste retour du balancier où le dernier maire coco (Laurent Russier) est fauché avant les blés par un jeune socialo aux dents longues (Mathieu Hanotin) qui rie sous cape et referme la parenthèse désenchantée d’un communo-sectarisme exacerbé.
Le rose semblait pâli, la rose était fanée, elle a repris des couleurs avec un socialisme de terrain qui lui permet de mitonner quelques bons petits plats de terroir. Cela fait du PS un grand convalescent qui s’appuie de plus en plus sur une béquille verte. Depuis ses dernières déculottées, il vivotait sous l’ombre tutélaire de Mitterrand et évoquait les mânes de Jaurès que lui avait emprunté Macron. Le voici qui relève la tête et se reprend à rêver quand il pique à la concurrence, Nancy, Bourges, Périgueux et même Saint-Ouen. Secouant ses puces, le PS sort de la naphtaline mais un printemps municipal ne fait pas une élection présidentielle quand bien même le Printemps Marseillais lui donne partiellement raison de croire en son avenir, sous tutelle d’une conjonction où il est minoritaire. D’ailleurs, le gardien du temple, Oliver Faure, en est réduit à évoquer un effacement au profit des Verts en 2022. Renversement de tendance et changement d’alliance, l’ex gauche plurielle, qui avait du plomb dans l’aile, a désormais du duvet d’oie dans l’oreiller. Et le PS qui était depuis 2017 dans de beaux draps regarde mi énamouré, mi évaporé ses alliés écolos, mais attention, ils pourraient bien tirer la couverture à eux et faire leur lit dans la rivière asséchée des idéaux socialistes.
Le vert est dans le fruit et il semble presque mûr pour tomber dans l’escarcelle. Inversement de tendance, EELV a le vent en poupe au point d’avoir donné l’impression de rafler la mise. Ne serait-ce pas cependant l’arbre qui cache la forêt ? Car, à y regarder de près, certes, les points verts ont fleuri sur la carte de France mais essentiellement dans les métropoles. Il n’est qu’à égrener les villes comme des trophées, Lyon, Bordeaux, Marseille, Annecy, Besançon, Tours, Strasbourg ou encore Poitiers pour constater que la moisson de médailles est à faire pâlir n’importe quelle autre formation. Mais toutes ces belles victoires, porteuses d’espoir et d’enthousiasme, nous rappellent que cette vague tient plus d’une bobo-écologie que d’une populo-écologie. Paris et l’étonnante remontada de sa toujours maire en est la preuve. Au relais du 4 x 100 m, elle ne l’a emporté (seulement avec 48,7% des voix) que par les chutes successives de ses adversaires et l’appui massif de son coéquipier au brassard vert. Alors, s’il ne faut pas minimiser cet élan écologique, EELV est cependant loin de remplir l’auditoire sur les foirails de la France profonde. Et sur le podium, en réalité, c’est LR qui l’emporte.
Le bleu a repris des couleurs et le parti des Républicains se sent requinqué même s’il n’y a pas de quoi pavoiser. Il n’empêche, sur le papier et sur la carte, LR reste le parti le mieux implanté à l’échelon local. Il a stoppé le reflux et même gagné quelques villes comme Lorient ou Clichy, prises de guerre à une gauche désunie. En revanche, en perdant Bordeaux, LR qui avait mis de l’eau dans son vin dans une alliance avec LRM a bu la tasse. Heureusement, à Toulouse, ville rose mal nommée pour l’allusion politique, Jean-Luc Moudenc sauvait sa majorité face à un pack à coloration pastèque tandis que Christian Estrosi s’imposait à Nice avec un score élevé à 59% proche de celui d’Edouard Philippe au Havre qui retrouvait ainsi la barre, libéré du super tanker de Matignon. De quoi satisfaire Christian Jacob et lui permettre d’afficher son sourire niais sans pour autant nier que les écluses à franchir pour parvenir à la présidentielle restent des obstacles avec un capitaine bien en peine de soulever une énergie fédératrice.
Le bleu marine est délavé, il s’est rassemblé autour de la victoire de Perpignan où Louis Alliot, ex compagnon de Marine Le Pen, a mis de l’eau dans son vin (ou sa Sangria) et a réussi sa percée en crevant le fameux plafond de verre qui l’empêchait d’emporter la mairie depuis plusieurs élections. C’est chose faite et la préfecture des Pyrénées-Orientales lui offre une belle vitrine, enfin, celle d’une ville dévastée par la crise économique et en proie à la division, laquelle n’a pu masquer les fissures d’une coalition hétéroclite où l’ancien maire cherchait à surnager. En s’affichant sans étiquette trop visible, Louis Alliot a pu gagner sans tambour ni trompette. Tromperie sur la marchandise à qui croirait nonobstant que cette droite là n’est pas extrême et donc à suivre sur le fil du racisme et de l’ostracisme. Le contre-exemple marseillais où Stéphane Ravier a échoué à conserver la mairie des 13ème et 14ème arrondissement prouve que la surenchère ne paie pas toujours. Marine peut bien sourire en coin, son parti n’a pas enregistré de dynamique et même perdu des duels (Sète, Carpentras, Tarascon) où la configuration urbaine lui donnait de l’avance. Quoi qu’elle en dise pour le prochain grand match de 2022, c’est pas gagné et c’est tant mieux !
Le jaune n’a pas brillé si ce n’est par son absence. Ce n’est pas faute de râler en toutes circonstances mais les Français confinés d’abord en masse puis déconfinés se sont sentis dans la nasse et ont voté en majorité pour l’abstention. A Marseille, la rascasse aura la saveur d’une nouvelle bonne maire pour veiller au port puisque Mélenchon a préféré se réserver pour l’élection mère dont il voudrait être le père sans faire l’impair et passe. Quant aux autres insoumis et poujado-cruciverbistes, ils iront pointer à la pétanque en attendant les calanques et en goûtant la pastèque.
Ainsi va la France dans un camaïeu de couleurs où le gris se superpose, tonalité morose sur laquelle se glisse une couche de pessimisme qui va de pair avec le moral soucieux des ménages et le je-m’en-foutisme sourcilleux de nos pêcheurs à la ligne. Un dimanche contraint pour une deuxième manche sans entrain. Un vote blanc pour les uns, un sans vote pour les autres mais pas un sans faute pour le parti présidentiel qui se retrouve désavoué dans les urnes. Avec la crise, les Français ont fait sans doute le deuil de cette élection et leur vote du cœur, celui du blanc hospitalier, des blouses blanches comme rempart au coronavirus. Le reste leur semblait superfétatoire. Et entre la crainte et l’inquiétude, plutôt que l’isoloir, ils ont choisi l’échappatoire. N’est-ce pas illusoire ?
Henri-Jean Anglade ---> à suivre...
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