(épisode 48) Quand les Français sont saisis par le virus de la déco
Etait-ce pour refouler leurs angoisses que les Français, peuple individualiste joyeux au pessimisme collectif, se sont aussi préoccupés de leur intérieur ? Ou est-ce parce qu’en leur for intérieur, c’était une façon d’envisager le quotidien autrement ?
En tout cas, à voir le rush dans les magasins d’ameublement et dans les zones commerciales où le drapeau suédois flotte en guise d’aménageur national, ce n’est pas seulement hourra qu’ils ont poussé, mais bien le caddy chez Ikéa.
Or, en matière d’engouement pour le type scandinave, c’est plutôt le « hygge » qui inspire la mode et le design selon une philosophie propre aux peuples Viking, depuis longtemps pacifiés et rangés des drakkars.
Une façon de concevoir l’espace intérieur comme un sanctuaire, un lieu chaleureux, ouvert au bien-être en connexion entre les gens et leurs habitudes. Une maison mais aussi des lieux de vie où se mêlent le mobilier, les fleurs, les plantes mais également les tapis, les textiles, les bougies pour créer une vraie convivialité en symbiose avec la nature, il est vrai très présente en Suède y compris à Stockholm, capitale entourée de lacs et de forêts, ce qui est moins vrai de Paris.
Ce cocooning protecteur aurait pu être initié durant la période que nous venons de subir si celle-ci, justement, n’avait pas été subite et subie. C’est donc maintenant, et a posteriori, qu’il faut prendre la dimension de cette quête d’harmonie dans une extension du domaine de la hutte*.
D’où l’émergence d’un concept qui nous vient de là-bas et qui en est l’expression, plus qu’une formule ou un slogan publicitaire, une pensée en action, où le design est mis au service d’une décoration intuitive, entre sensibilité et affinité.
Cet art d’être bien chez soi porte un nom : Trendenser.
Une forme de trendance, une traduction de trend/trendens (la tendance). Une sorte de contraction qui conjugue bienveillance et concordance, des styles et des couleurs et qui contient comme une évidence la joie de vivre (livlust). Un certain goût (smak) comme une touche d’élégance (smart) sobre, juste et une touche de fantaisie comme un smack, un petit baiser déposé au débotté.
Cette interprétation, je l’avoue, toute française, donc forcément sujette à caution n’en est pas moins l’illustration, un tantinet retouchée, des propos tenus par l’ambassadrice de cet art consommé du hype parade suédois. Elle s’appelle Frida Ramstedt, c’est une blogueuse influenceuse qui promeut cette ligne de conduite avec son livre-programme, Trendenser.
Avec son petit air de duchesse de Cambridge (l’épouse du prince William), même sourire, même look de jeune femme épanouie – est-ce cela qui lui donne un teint de pêche et le même fruit pour avancer dans la vie ? – Frida Ramstedt, qui n’a rien de Frida Khalo, semble néanmoins sortir du lot des lanceuses de déco qui passent ensuite au tricot.
Elle exprime ainsi son credo : « Je compare souvent la décoration à la musique. Tout le monde n’a pas l’oreille absolue, mais beaucoup jouent en suivant une partition. Il en va de même pour les couleurs, les formes et les textures. »
Suivent alors des conseils pour installer ses tableaux, préserver les proportions des pièces, disposer ses meubles, redonner du volume... bref, un petit guide pour se composer un nid douillet.
C’est exactement ce qui a manqué à certains lors de ce printemps confiné qui n’ont pas vraiment su comment y parvenir tout en constatant combien il était important de se sentir bien chez soi. Pour affronter la solitude ou créer son propre espace dans un intérieur qui manquait parfois de chaleur ou, au contraire, qui en dégageait trop par superposition, voire entassement, des strates familiales.
Durant cette période suspendue, nous nous sommes beaucoup repliés sur nous-mêmes et avons intériorisé nos problèmes. Au point de faire une fixette sur les pièces qui nous entouraient, que certains ont même assimilé aux murs d’une prison.
Cet horizon rabougri nous étouffait, ce papier peint à fleurs nous bouchait la vue, ce poster en noir et blanc nous filait la cafard... Vous ne pouviez plus encadrer les mesures gouvernementales ni voir en peinture ce tableau hérité d’une lointaine tante dont les craquelures prolongeaient la fissure en angle près de la fenêtre, affalés dans votre fauteuil vous regardiez la télé en boucle, le ressort était cassé, il fallait rempailler la vie, donner un grand coup de balai.
C’est un peu ce qu’ont ressenti nos compatriotes avec le déconfinement, comme des taupes sortant de leurs taupinières après deux mois d’une existence limitée et routinière. Dans une douce euphorie consumériste mobilière qui n’excluait pas le besoin de recoudre du lien et l’envie d’en découdre avec nos habitudes, ils ont « trendansés ». En somme, l’idéal en temps de crise pour régénérer son moi intérieur et revivifier le nous extérieur !
Henri-Jean Anglade --->à suivre.
#Trendenser L’art d’être bien chez moi
Aménager, optimiser, décorer, respirer
Frida Ramstedt (Flammarion) 16,90 €
* « Extension du domaine de la lutte », roman de Michel Houellebecq, paru en 1994, où le caractère désabusé du personnage (et de l’auteur) résonne assez bien avec l’époque actuelle et sa déprime.
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