Certains hommes portent l’espoir. Contre vents et marées, contre les bombes, contre les oiseaux de mauvais augure, contre leur propre camp. Peut-être sont-ils des messagers qu’il faudrait plus écouter que repousser par temps agités.
Une parenthèse à méditer dans une actualité bousculée… Un nouveau chapitre dans ce 6ième récit de politique-fiction qui mêle le probable et le discutable.
Jour J- 10 : Songe d’une nuit d’été
Un sentiment d’impuissance. C’est ce que ressent cet homme dont la chemise blanche est éclaboussée de sang. Kader Boukrif est un palestinien, père de famille, commerçant, et violoniste amateur… Il a même fait partie d’un orchestre où jouaient des israéliens et des palestiniens, il y a dix ans de cela. Une amicale, constituée à partir d’hommes et de femmes de bonne volonté, qui vivent à côté et ne comprennent pas ce déchaînement de violence, par à-coups, par vagues successives, comme un ressac de haine recuite, comme une fatalité intangible.
Il a sympathisé avec Aaron, avec Ehud, avec Isaac, ils ont même eu des fous rires, sur une note de musique, sur un la mal accordé, et puis ils ont préparé ensemble un concert. Il y a eu du monde, des juifs, des arabes, sans que quiconque n’y trouve à redire. Ce fut une belle soirée, il s’en souvient et il pleure en se remémorant cette nuit.
Sa femme avait sympathisée avec Hannah, et ses enfants avaient joué avec les siens. Chacun s’était quitté en se disant que la musique était une façon de se parler, de se retrouver autour d’une même passion, en harmonie.
Aujourd’hui, la fausse note, c’est cette guerre qui a repris. Pourquoi ? Il ne le sait pas très bien. Une vengeance qui a le visage d’adolescents tués et en représailles, un autre brûlé. Et puis, la spirale infernale, des bombes, des tirs, du sang. Il redoutait cette escalade, il sentait qu’elle était sous-jacente, il en avait parlé avec sa femme, Amira, qui lui avait répondu de ne pas s’inquiéter.
Amira est institutrice, elle a la foi en elle. Dieu d’un côté, les enfants de l’autre et son mari au milieu a-t-elle coutume de dire. Sa classe c’est son monde, elle essaie d’expliquer que les bons et les méchants, ça n’existe pas, qu’il y a des circonstances, des actes, des compromis, et qu’il faut protéger la vie.
Amira et Kader ont trois enfants, ils les élèvent dans le culte de la tolérance, ce qui ne veut pas dire qu’il faut accepter la fatalité et se résigner à vivre sous occupation. Ils savent que la paix est le seul horizon, que si leur génération n’y arrive pas, ce sera à leurs enfants d’y parvenir. Mais ils y croient, ils militent pour ça, quitte à se faire mal voir par des voisins plus bellicistes, plus intransigeants. Fouzia, qui habite l’appartement du dessous trouve qu’ils sont trop idéalistes, et que ce n’est pas avec des jolis mots, de belles pensées, qu’on changera la situation. Ce à quoi Amira lui donne raison. Ce ne sont pas les mots qui changeront la donne, c’est notre capacité à regarder l’avenir au-delà des murs que nous érigeons ou qu’on dresse entre nous, lui dit-elle de sa voix douce. Comment vivre avec un voisin, fut-il différent de nous, si c’est notre ennemi héréditaire et à tout jamais ? Qui aura la sagesse d’enclencher un cercle vertueux ?
Kader relève machinalement sa manche. Il se frotte les mains à l’eau pour enlever du sang séché, puis, comme il n’a pas de serviette se passe les mains dans les cheveux. Il regarde le cadre brisé, sur le sol jonché de bouts métalliques, de poutres enchevêtrées, de livres noircis, le portrait d’Amira est souriant, il se souvient de cette photo, prise alors que leur fille aînée venait à peine de naître. Nadia a vingt ans maintenant et elle fait ses études en France, à Nantes. Il en est fier, très fier même.
La France, c’est la patrie des droits de l’homme mais Gaza est bien loin de la France au moment où Kader se demande ce qui va arriver. Demain, il va retourner à l’hôpital où Amira a été hospitalisée, victime d’un éclat d’obus dans les jambes. Les médecins réservent leur pronostic. Quant à Muna et Raniyah, ses jumelles, ses étoiles comme il les appelle, elles n’ont rien eu, juste quelques contusions. Il les a conduites chez son frère, à quelques kilomètres de là, à l’abri croit-il, si tant est qu’on puisse être abrité quand la menace vient en permanence du ciel.
Lui, il va se coucher seul, dans ce qui reste de sa chambre. On le lui a déconseillé, mais c’est sa façon d’être près de celle qu’il aime. Amira a un cœur en or, elle ne peut pas l’abandonner, elle a encore tant de choses à faire, ils ont encore tant de vie à partager et un but à atteindre, elle le lui a dit, en lui serrant la main, tout à l’heure, au moment de la quitter. Son regard était celui d’une combattante, d’une combattante de la paix. Même en cet instant, elle ne veut croire qu’à ça. Ce qu’on lui a fait, dans sa chair, ne vaut pas que d’autres périssent, que le maudit cycle reprenne. Demain, Kader ira à l’hôpital et parlera à Amira de son projet. Il sait qu’elle l’approuvera. Il a décidé de réactiver l’orchestre. Il va essayer de joindre Aaron, Ehud, Isaac et les autres. Une chorale pour la paix, voilà sa mission. Pour Amira. Pour ses filles. Pour l’humanité.
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Henri-Jean Angladefeuilleton 4, été 1914, été 2014, h j Anglade
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