(épisode 43) Open bar
A la douzième semaine du confit/déconfinement, les bars et restaurants ont pu rouvrir, clôturant en cela la parenthèse désenchantée d’une période que personne ne souhaite revivre. Qui a vu la France se replier sur elle-même et les Français privés de leur liberté chérie.
Pas seulement le fait de ne pas pouvoir sortir librement, non. Mais celui de ne pas se retrouver dans ce lieu de la convivialité sublimée par la parole de comptoir où la discussion franche, ouverte, discursive, s’étend à tous les thèmes, tous les genres, avec une faconde, une grandiloquence, une liberté de ton qui n’a d’égal que cette philosophie de bistrot si chère à notre beau pays et répandue avec une circulation étale des rives de la Méditerranée aux bords des falaises d’Etretat ou les plages de la côte d’Opale, dans un salmigondis de fadaises mitonné de bons sens, d’à-propos plus ou moins pertinents et d’histoires scabreuses caca-popo.
Que serait la France sans ce maillage territorial qui compte autant d’établissements à l’hospitalité gaillarde, parfois paillarde, que de communes, soit plus de 35 000. Et qui fait un peu sa spécificité, certes au détriment des établissements hospitaliers qui eux ne sont que 3000. Ce qui donne seulement 246 000 lits dans le public pour plus d’un million de sièges où s’attabler, soit un rapport de 1 à 5 en faveur des débits de boisson. Blocs contre bocks, la covid-19 perd face à la Corona.
Le mardi 2 juin 2020, dont le millésime annonçait bien et prématurément la couleur du vin, est donc une date à marquer d’une craie blanche, celle qu’on utilise pour écrire sur l’ardoise les plats du jour.
Après avoir soupé d’un menu uniforme et sans autre saveur que le réchauffé de l’actualité, après avoir bouffé jusqu’à satiété le ragout de Raoult et sa salade à base de chloroquine, après avoir testé les recettes de grand-mère dans les familles entassées dans un deux-pièces où la cuisine servait de laboratoire, de salle de classe et d’épluchures où s’épancher équivalait à prendre le risque de recevoir un gnon en même temps que pleurer sur une pelure d’oignon, étancher sa soif dans un lieu extérieur était devenu plus qu’un besoin, une urgence vitale au point que Macron, dans sa mansuétude à nationaliser nos destins, avait envisagé l’hypothèse que la Sécu rembourse le premier verre sur présentation de la carte Vitale.
Au crédit du gouvernement, la prise en charge de nos malheurs, aux débits de boisson, la reprise en main de nos bonheurs. D’un côté le compte de nos finances publiques en instance, de l’autre le décompte de nos souffrances privées en jactance.
Las pour ceux qui voulaient rouvrir le robinet sans tarder, la mesure du déconfinement coïncidait avec le week-end de Pentecôte qui en était cependant exclu pour éviter le risque d’attroupements aux terrasses. Pour dégriser de cette période de si longue d’abstinence, il fallait donc attendre le mardi.
Qu’à cela ne tienne, Etienne, tiens-le bon, le goulot... Pentecôte ou pas, pente ascendante et soif montante, le choix du jour n’allait pas altérer l’attente mais inviter à se désaltérer sous tente, où l’oxygène serait branchée sur le tonneau.
Lendemains qui chantent, le jour d’après, tant vanté par le Président, démarrait ainsi sous les auspices de Bacchus faisant du 2 juin, une post Pentecôte prolongée où le Saint-Esprit était fêté à hauteur de l’événement, une sorte de Trinité retrouvée du cinquantième jour.
Les disciples attablés se sont ainsi rués à l’office, fête du tabernacle et de la taverne, goûter ce bon vin de messe, entre Pentecôte-rôtie et Pentecôte de Beaune, Pentecôte de Brouilly aux œufs brouillés, Pentecôte de Castillon et de Bourg dégustés au St Amour..., des chais du Bordelais aux caves du Beaujolais, les vignes du Seigneur ne manquent pas d’abreuver le sillon du retour à la normale.
Après le serment d’Hippocrate soumis à l’étuve durant la crise, le sarment d’Hypocras remis de l’épreuve au sortir de la crise nous apporte tous ces bienfaits.
Sans attendre l’After Hours et autre cinq à ceps pour lever le verre de l’amitié, les bars et cafés ont fait le plein dans une mesure de distance sociale étudiée pour les uns, improvisée pour les autres.
Distance de facto au début, amenuisée au fur et à mesure que la joie déconfinée se répandait de table en table, infusion de craintes refoulées mêlées d’effusion de sentiments partagés.
Toute distanciation sociale bue, les estaminets se remplissent, les verres se vident, la soif de vivre reprend son cours. La pression retombe, la mousse, elle remonte.
C’est ainsi que la France est repartie du bon pied ce 2 juin, où l’on fête Blandine, martyrisée à Lugdunum en 177, sous Marc-Aurèle, et qui est à la fois sainte patronne de Lyon et des servantes. Garçon, garçonne, un kir et un pastis, après la mise en bière, c’est la tournée de la patronne !
Henri-Jean Anglade --->à suivre...
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