Décorum de confinitude télévisuelle (épisode 32)
C’est un détail mais il a son importance, depuis le début de la crise du coronavirus, nous sommes téléportés chez les intervenants es qualité du débat télévisuel puisqu’ils ne peuvent plus, comme avant, être présents en plateau. D’où cette question qui exige une acuité visuelle : avez-vous remarqué l’arrière-plan de ces doctes savants confinés chez eux ?
Ce cadre modifie la donne et détourne l’attention qu’on porte moins sur eux que chez eux. Il vient en surimpression de l’image habituelle du plateau télé et nous invite malgré nous à pénétrer dans l’intimité de celui ou celle qui commente l’actualité Covidienne du jour dans tout le spectre de ses incidences.
C’est ainsi que l’intervenant apparaît, en plan plus ou moins serré, dans le décor d’une pièce de sa maison, plus rarement de sa terrasse ou de son jardin. L’intériorité habille mieux l’esprit confiné.
Remarque préliminaire, il va de soi qu’en certaines circonstances, le lieu sous-tend le registre de l’intervention.
Pour une émission culinaire, la recette consiste à paraître dans sa cuisine et à mettre la main à la pâte, faisant ses gammes debout devant un piano de cuisson, une batterie de casseroles en fond de mur, tout en combinant la parole à l’action. L’élaboration du plat exige sa réalisation en direct, faute de quoi la théorie passe mal de l’écran aux fourneaux du récipiendaire.
A l’inverse, pour une table ronde virtuelle, l’intellectuel de service est confortablement installé dans son fauteuil, position assise qui sied à sa parole, associée à la réflexion et non pas à la patouille. Néanmoins, la ratatouille des idées doit infuser pour se diffuser et susciter chez l’intervenant une forme d’agitation au gré de sa pensée discursive.
La plupart du temps, il s’agit d’un salon ou d’un bureau qui laisse entr’apercevoir des étagères habilement disposées, amplement couvertes, voire une vaste bibliothèque, gage de l’étalage d’un savoir chèrement acquis et preuve d’une connaissance évidente. Parfois, une chambre en sous-pente fait l’affaire, signe d’une réclusion propice au confinement.
Cette culture visible conforte la position de l’expert aux yeux du téléspectateur qui peut tout à loisir apprécier les livres, bibelots, souvenirs de voyages, statuettes ou coquillages, photos de famille et estampes qui meublent l’espace de celui qui nous délivre son commentaire sur un ton plus ou moins professoral.
Il est alors tentant de se faire voyeur et de zoomer mentalement sur les détails de ce décor, en faisant la revue des ouvrages, les titres qui peuplent ces rayonnages et en déduire les auteurs vedettes, les thèmes récurrents, les centres d’intérêt ou le goût affiché de bibliophile entre les éditions brochées et les reliures en maroquin.
La France, patrie culturelle par excellence, aime se regarder dans le miroir de ses littérateurs et grands penseurs qui tapissent nos maisons de leur ombre bienveillante et nous renvoient une image flatteuse.
Néanmoins, certains, peu concernés par cette fenêtre entr’ouverte, ou soucieux de s’exposer à l’œil médiatique inquisiteur, laissent traîner leurs dossiers, leurs classeurs entre des piles de journaux dans un désordre qui noie le poisson. D’autres, conscients de cette intrusion, font tout pour bannir le moindre élément personnel et apparaître dans un dépouillement qui frise le dénuement. Ces derniers, veulent sans doute ajouter de la sobriété au confinement, à moins que ce soit la crainte d’étaler un luxe qui serait sujet à suspicion. Par temps de crise, et de délation, mieux vaut s’inscrire dans un relatif anonymat d’une honnête moyenne.
Au fil des mois de ces incursions télévisées et de cette nouvelle mise en scène distanciée, une question subsidiaire se pose : y-a-t-il un décor type masculin ou féminin ?
Quels sont les éléments qui pourraient genrer le décor, au risque de tomber dans une caricature. Semainier, commode ou canapé pour placer madame l’experte sur la sellette, cartonnier, bureau et fauteuil président pour asseoir monsieur le professeur avec sa tablette ? A voir les choix, a priori consentis, des intervenants on est en droit de s’interroger sur la projection de l’image.
Intérieur bourgeois ou studio étudiant, selon le genre qu’ils veulent se donner, force est de constater que rares sont ceux qui méritent les pages d’une revue de décoration. Mais après tout, ce n’est pas ce qu’on leur demande.
Le regard fixe ou dodelinant de la tête, comme un coq aux aguets ou une poule faisane en arrêt, dès que le sujet est lancé, leur langue se délie et il (ou elle) enfile de belles phrases, jactance à destination du blaireau. Certains, nouvellement acquis à la télé-correspondance semblent plus mal à l’aise et quelque peu hagard, tel un cerf aux abois ou une biche prise dans les rais de lumière d’une voiture, scrutent un horizon dont ils ont peine à définir les contours.
Un casque sur les oreilles ou les fils d’écouteurs en collier, livrés à eux-mêmes dans cet entre-deux spatio-temporel, où le réceptacle sert d’entremise, ils expertisent, actualisent, avalisent, catégorisent, temporisent, dramatisent ou dédramatisent, mobilisent ou démobilisent, prédisent ou démoralisent, tranquillisent ou traumatisent et nous sensibilisent selon une analyse plus ou moins concise ... Qu’on se le dise « Quand on ne peut pas changer le monde, il faut changer le décor ».*
Henri-Jean Anglade --->à suivre..
* Daniel Pennac - La petite marchande de prose
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