J'ai assisté à deux opéras au Festival d'Aix en Provence : Cosi fan Tutte (Toutes les mêmes) de Mozart et l'Ifedelta Delusa (l'infidélité déjouée) de Joseph Haydn, sur le thème de la fidélité fragile entre amants. Au fur et à mesure que se déroulait Cosi fan Tutte (4 heures de spectacle) , je pensais à la bonne vieille fidélité des programmes de marketing et y voyait pas mal d'analogies. Pour en avoir le cœur net, j'ai commandé le livret, écrit par Da Ponte, chez amazon et noté quelques phrases... tout à fait actuelles !
Voici une sélection (en remplaçant "femmes" ou "amantes" par "client", en remplaçant "homme" par "marque", ça le fait, comme on dit) :
- Et vous prétendez trouver la fidélité chez des femmes ? Ô combien tu me plais, simplicité !
- La fidélité des femmes, c'est le phénix d'Arabie. Qu'il existe, tous le disent ; où il est, nul ne le sait.
- Mais sans vous mettre en colère : quelle preuve avez-vous que vos amantesvous soient à chaque instant fidèles ? Qui vous assure que leur cœur ne varie pas ?
- Et si je vous faisais aujourd'hui même toucher du doigt qu'elles sont comme les autres ?
- Jamais l'on ne vit femme mourir d'amour. Mourir pour un homme !... Il en est tant d'autres pour compenser
ce dommage.
- Les autres ont aussi ce que ceux-là possèdent. Vous aimez celui-ci ? demain vous aimerez celui-là : l'un vaut l'autre car aucun ne vaut rien.
- Espérer que des hommes, des soldats soient fidèles ? Tous sont fabriqués de la même pâte.
- Larmes mensongères, regards fallacieux, paroles trompeuses et grâces menteuses, ce sont les premières de leurs qualités.
- les femmes constantes sont si peu nombreuses en ce monde
- Si c'était moi, au lieu de pleurer comme elles, je rirais. Pleurer de désespoir parce qu'un amant s'en va ? mais voyez la folie ! On en prend deux si l'un s'en va.
- Traiter l'amour en bagatelle. Ne jamais négliger une bonne occasion ; changer au bon moment. Savoir être constantes ; coquettiser avec grâce. Manger la figue et conserver la pomme.
- Une femme dès quinze ans doit savoir ce qui se fait, où le diable met la queue, le bien le mal ce que c'est.
- Il est toujours bon de soupçonner un peu dans ce monde.
- J'ai tenté de résister. Ce petit démon possède un art, une éloquence, des manières à vous faire fondre, fût-on de pierre.
Revenons maintenant au Marketing s'il vous plait. Ce qui apparaît très nettement, c'est que la plupart du temps, les marques demandent à leurs clients d'être fidèles (en échange de cadeaux). Toute la sémantique des programmes de fidélité tourne autour de ça. Et jamais ou presque jamais, la marque ne dit ce qu'elle va faire pour mériter la fidélité de ses clients. Quels privilèges elle va réserver à ses clients qui font le sacrifice de leur liberté d'acheter ailleurs. Ce qu'elle va faire en plus de ce qu'elle fait pour ses clients "normaux", c'est-à-dire volages. Le win-win est toujours bancal. Vaste sujet de réflexion qui va dans le sens de ce que j'ai écrit à plusieurs reprises : les programmes de fid. sont devenus des Programmes de Promotion Permanente. La vraie fidélité est ailleurs.
Le pitch de Cosi Fan Tutte
Vertiges de l'amour
De fin mai à la mi juillet, Cosi fan Tutte de
Mozart (1790), dernier opéra "buffa" de Mozart est à l'affiche d'Angers
Nantes Opéra et aussi du Festival d'Aix en Provence dans une nouvelle
production dirigée par Christophe Rousset, signée Abbas Kiarostami qui
fait suite à celle touchante par sa vérité émotionnelle qui l'a
précédée, de Patrice Chéreau.
Wolfgang Amadeus, tout en
succombant aux délices doux amers d'un pur marivaudage, exprime avec
nostalgie la perte d'un monde ou par antinomie, brosse le portrait
d'une humanité qui n'a plus foi dans la sincérité de l'âme, préférant
s'oublier et sombrer dans les vertiges du désir destructeur... Que
savons nous de Cosi, dernier opéra de la trilogie Da
Ponte/Mozart? Longtemps l'oeuvre fut minimisée, trop faible par son
livret, d'une légèreté douteuse: tenue à l'écart des sommets que
forment depuis le XIXème siècle, ses frères aînés, Don Giovanni et Les Noces de Figaro.
Eloge de Cosi
Pourtant ce que nous dit l'opéra aujourd'hui, c'est avec un ton de
vérité voire de cynisme que la seule loi du désir peut vaincre tout
sentiment. Foulant aux pieds les serments d'hier, Amour/Eros veille à
la folie des hommes et des femmes. Qui aime aujourd'hui, se dédira
demain. Tel est le propre de la fourberie humaine: séduire, déguiser,
feindre; toujours, tromper, trahir, abandonner. A l'école des amants,
les deux couples de départ apprennent l'insouciance, l'oubli, ces
petites lâchetés trop véritables et sincères. Lutte permanente entre
les aspirations de l'âme et l'appétit de la chair. La musique quant à
elle délivre un tout autre message: le bonheur fugace qui a déjà
disparu, cette nostalgie longue, étirée qui a l'air de commenter le
cynisme de l'action et regretter que ce qui arrive et se réalise bel et
bien. Voyez par exemple ce trio langoureux qui clôt le premier acte, où
les deux belles napolitaines, Fiordiligi et Dorabella se pâment aux
côtés d'Alfonso: "Soave sia il vento...",
douce brise du soir sur la baie de Naples qui emporte les adieux de
deux filles éplorées perdant pour la guerre, leurs amants déjà
regrettés... Jamais au théâtre, musique ne fut plus agissante
indépendamment du texte. Tout se joue dans ce vertige. Spasmes et
torpeur languissante de la perte. Or le piège de Don Alfonso montre
combien femme varie: que tout cela est feint, masques de la sensibilité
déplacée, la plus authentiquement féminine. Et voilà que Cosi est targué
de misogynisme. Voyez le titre, sans nuances: "Cosi fan tutte": ainsi
font-elles toutes. Trahison, déloyauté et infidélité sont dans le
coeur des femmes. Disons que de l'inconstance, les hommes n'ont pas
l'exclusivité.
Ailleurs, si l'on accepte la coïncidence des dates, Cosi
commandé en septembre 1789 par l'Empereur Joseph II, sur le thème d'un
fait divers, serait contemporain des événements révolutionnaires. A 35
ans, Mozart compose l'une de ses oeuvres les plus profondes, les plus
investies: y glisse-t-il son propre adieu à un monde désormais perdu?
L'opéra est créé avec succès au Burgtheater de Vienne le 26 janvier
1790. Cosi fan tutte, ossia "la scuola degli amanti", Cosi fan tutte ou l'école des amants, opera buffa en deux actes K 588. Livret de Lorenzo da Ponte.
Distribution aixoise
Ossia la scuola degli amanti. Opera buffa en deux actes. Livret de Lorenzo da Ponte
Création le 20 janvier 1790 au Burgtheater de Vienne
Direction musicale, Christophe Rousset
Mise en scène, Abbas Kiarostami
Fiordiligi, Sofia Soloviy Dorabella, Janja Vuletic Ferrando, Finnur Bjarnason Guglielmo, Edwin Crossley-Mercer Despina, Judith van Wanroij Don Alfonso, William Shimell Orchestre Camerata Salzburg
Le pitch de l'infedelta delusa de Haydn :
France Musique Mardi 15 juillet 2008 à 22h
Aix 2008, sacre Haydnien pour Rhorer
En juillet 2008,
sa première direction aixoise pourrait s'apparenter à un sacre. Ne vous
fiez pas à la mine encore adolescente de ce jeune trentenaire qui en
une ascension fulgurante, devient le nouveau chef français en vue,
déclassant les Marc Minkovski et Christophe Rousset d'aujourd'hui.
Disciple de l'esthétique baroqueuse, enfant de cette nouvelle exigence
instrumentale et sonore, le jeune maestro s'entend comme personne à
exprimer l'articulation et la fluidité des partitions du XVIIIème
siècle, en particulier, les opéras de l'époque des Lumières.
Il a fondé depuis 2005, avec son complice Julien Chauvin, devenu depuis premier violon de l'ensemble, l'orchestre Le Cercle de l'Harmonie. Tout est déjà inscrit dans le nom de la jeune formation: entendez par harmonie, une volonté de relire la musique avec passion, élégance, fermeté et souplesse et ce sentiment propre aux jeunes années, l'enthousiasme de produire du neuf... son Idomeneo (Beaune, juillet 2006) fut décisif: une révélation. Début 2008 (janvier), Virgin classics a publié un album événement où chef et orchestre accompagnaient avec une nervosité éloquente, idéalement stylée, la diva Diana Damrau dans plusieurs airs coloratoure signés Salieri, Mozart et Righini. Pour le Festival d'Aix en Provence 2008, qui marque les 60 ans du Festival et aussi la première programmation de son nouveau directeur, Bernard Foccroulle, Jérémie Rhorer (ex chanteur à la maîtrise de Radio France) dirige un opéra méconnu de Joseph Haydn, L'infedeltà delusa (l'infidélité déjouée)..., du 5 au 15 juillet 2008. L'opéra est la nouvelle production de l'Académie européenne de musique du Festival aixois 2008.
Joseph Haydn (1732-1809): l'infedeltà delusa (1773). Opéra burlesque (burletta) en deux actes d'après le livret adapté de Marco Coltellini, créé le 26 juillet 1773 à Esterhaza (Hongrie). 6 représentations aixoises du 5 au 15 juillet 2008. L'action se déroule en Toscane. Contre un mariage arrangé, imposé à l'origine par le paysan aisé Filippo, entre sa fille Sandrina et Nencio, un "riche propriétaire", l'ingénieuse Vespina, soeur de celui qu'aime en vérité Sandrina, Nanni, interfère, manipule, et triomphe. Pour le bonheur de son frère, l'admirable soeur, experte en travestissements, démontre combien, en matière de détermination, la femme redouble d'intelligence et d'artifices. Au terme de cette comédie masquée, Sandrina pourra épouser son aimé, Nanni. L'Infedeltà Delusa est l'un des meilleurs ouvrages buffa, composé par Haydn pour le théâtre de son patron, le prince Esterhazy à Eisenstadt.
Opéra donné le 13 juillet 2008 à l'Hôtel Maynier d'Oppède à
Aix-en-Provence et en simultané avec l'Union eurpéenne de radios dans
le cadre du 60ème Festival d'Aix-en-Provence
Joseph Haydn: L'Infidélité déjouée
Burletta pour musique en deux actes
Claire Debono : Vespina/ Ina Kringelborn : Sandrina/ James Elliott : Nencio/ Yves Saelens : Filippo/ Andreas Wolf : Nanni/ Ueli Wiget : pianoforte/ Le Cercle de l'Harmonie/ Jérémie Rhorer, direction
un peu d'erudition ds un monde de BB-geek ca fait du bien
c mamie qui te le dit!
Rédigé par : stella de la rhune | 28/07/2008 à 19:11