Cette semaine, la Vidéo du Succès traite des erreurs des grands managers. Un peu sensibilisé à la question, j'ai découvert cet article de Christophe Bénavent (Professeur des Universités à Paris X) et j'ai pensé que vous seriez intéressé à le lire. Une fois n'est pas coutume, je vous le livre in extenso (y compris la photo d'illustration...)
Christophe a l'habitude de manier les concepts et les paradoxes. Cet article en est un exemple. L'expérience des uns ne sert guère aux autres. Pourrait-elle néanmoins servir à soi-même ? Je vais y réfléchir (avec vous ?)
Je viens de lire, d’évaluer une proposition d’article, qui porte sur la possibilité d’apprendre de ses erreurs, le learning by failing que quelques cas fameux ont porté aux nues, celui de Lisa avec le McIntosh en se demandant si le Darwin n’a pas joué le même rôle pour la séries des I-pod et I-phone à 15 ans d’intervalle .
L’échec serait source de connaissance, par un retour d’expérience critique (l’analyse abductive des causes d’échec), on apprendrait plus qu’en répétant indéfiniment les mêmes gestes jusqu’à atteindre la perfection. L’erreur, l’échec, fait découvrir des veines inattendues, des angles de vue improbables. Les vertus de l’échec appartiennent aux changements de cap.
Mais cet article, tranquillement, cheminant dans l’écriture naïve, dévide des arguments sérieux qui mettent en cause la possibilité même d’apprendre de ses erreurs. Alors sans entrer plus avant dans son propos, posons la question de ce que serait un monde où l’erreur n’apprend rien.
La première question à se poser
est d’abord celle de la fréquence de l’erreur. En matière d’erreur de gestion, l’échec est rare et qu’on apprenne rien de ses erreurs est peu important ; d’autres sources de connaissances sont certainement disponibles, mais si l’échec et l’erreur sont chose fréquente, la chose mérite de s’y arrêter.
A vrai dire la fréquence des erreurs varient beaucoup selon les activités. Dans le domaine de la production industrielle, une méthode de gestion de la qualité développée chez GE affirme dans son intitulé même 6sigmas, une éventualité inférieure à une chance sur un million, il en est de même pour les politiques dites de zéro défaut. Mais par ailleurs l’innovation technologique ne revendique le succès qu’une fois sur 10, moins d’une fusion acquisition sur deux réussie. Une grande diversité de résultat qui s’ordonne selon le caractère plus ou moins répétitif de l’activité.
Examinons rapidement le cas des activités répétitives dont par nature les erreurs, les accidents ont une importance relative moindre, se pliant à l’analyse statistique, leur relevé nourrit facilement un apprentissage continu, opiniâtre, qui réduit peu à peu les variances incontrôlées.
Mais naturellement c’est le cas des activités uniques, les décision stratégiques, ces innovations qui nous intéressent. Et le point remarquable est qu’en ce domaine l’erreur est fréquente, l’échec une seconde nature. Qu’on apprennent pas de ces échecs semble naturel, sinon ils ne se répèteraient pas.
Il faut donc interroger cette répétition et se poser la question du caractère consubstantiel de l’erreur de la gestion. Plusieurs options sont ouvertes.
La première est que si même il y a un savoir en ce domaine, il ne puisse s’appliquer. Pourrions-nous connaître les lois, nous sommes incapable de les appliquer. Cette situation est étrange, on pourrait l’expliquer dans le sens qu’entre les principes et l’application il existe un écart substantiel. Il faudrait en trouver les sources, la principale vient de la contingence, ce qui fait que les principes ne s’exercent que dans les circonstances. Acceptons cette idée mais reconnaissons du même coup que ce qui compte est moins la connaissance des principes que celles des circonstances. Voilà qui milite pour une histoire naturelle de la gestion.
Une seconde plus dramatique est que les théories sont, sans être fausses, largement imprécises, et qu’on fond notre savoir est impraticable. Plus simplement les sciences de gestion n’existent pas. Elle seraient des spéculation raisonnables, mais inefficaces. Nous vivrions de croyances, aussi fortes que les médecins du malade imaginaire.
Une troisième option penche pour la radicalité de l’expérience, quand bien même nous connaissons les lois et les conditions de l’expérience, le devenir des choses, dans leur nature, dépend du hasard de leur réalisation. La fatalité conduit le destin, et dans un monde complexe, rien ne peut être prévu même si nous comprenons l’ordre du monde. Saurions nous tout du monde, une virgule suffit à le faire vaciller.
Une option plus radicale encore est qu’il n’y ait pas de loi, que chaque action crée la sienne, et que la destinée est incalculable. C’est la thèse du chaos qui célèbre moins le desastre que l’impossible de toute connaissance. Peut-on connaître ce qui n’est pas encore ?
J’ai encore quelque thèses en réserve. Il suffit de présenter celles-ci pour s’interroger sur la vérité en gestion, comme d’autres s’interrogent sur la vérité en peinture. Il vaut mieux s’interroger sur la permanence de l’échec que sur la rareté de la réussite. A défaut se demander comment réduire l’échec, plutôt que d’atteindre la réussite.
Mais plus profondément, nous devons nous interroger sur ce fait fort, que l’on apprend pas de ses erreurs, à moins d’un coût exorbitant, et que du point de vue de la gestion se pose la question de savoir comment le supporter. A plus d’un égard, cette sciences est une science du poker, celle qui se construit dans la réalité des cartes et la vérité d’une annonce.
La gestion n’est pas un art mécanique, ce serait ce talent qui permet d’échapper aux marges à la destinée du hasard. Moins dans la maîtrise des lois, moins dans l’application de leur circonstances, que dans la vérité de leurs expressions.
Christophe Bénavent
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