Voilà la contribution de mon camarade (d'école...) Olivier Ezratty sur le thème du bruit dans les Réseaux Sociaux, dans le livre Ils ont pensé le futur, coordonné par Pauline Duffour-Wargnier, et moi.
Pour voir certains contributeurs, venez au Marketwitt le 29 Novembre au Point Zero à Paris 2ième.
Le bruit, un thème qui participe à la création de l'Infobésité … Sur YouTube, on est facilement amené à consulter des vidéos de qualité plus que variable. C’est une autre forme de bruit, qualifiée d’UGC. Il y a aussi le bruit généré par les commentaires dans les articles de news ou de blogs. Dans les supports Internet à fort trafic, plus la bêtise humaine peut s’exposer... plus elle le fait ! Quant à LinkedIn, qui est moins bruyant que les autres réseaux car plus professionnel, vous êtes tout de même invités quotidiennement à entrer en relation avec des personnes que vous ne connaissez pas sans que cela ait un sens.
Le bruit n’est cependant pas l’apanage des réseaux sociaux. Google Search génère ainsi son lot de bruit à chaque recherche. Ce bruit est moins présent dans le moteur de recherche Bing. Comme il attire moins d’utilisateurs, il y a moins de sites qui y font du SEO (Search Engine Optimisation). D’ailleurs, malgré le bruit sur Google Search, rares sont les utilisateurs qui vont plus loin que les cinq premiers résultats pour affiner leurs recherches.
Là-dessus interviennent des outils dits de “curation” pour faire le ménage dans le grand bazar du web ou tenter de l’organiser. La curation porte souvent sur les informations sources plus que sur le bruit directement engendré par les réseaux sociaux. C’est le cas de l’agrégation de news par thème chez Wikio, de l’organisation plus rationnelle que permet un Pearltrees ou de la mise en valeur des meilleurs commentaires dans Rue89 où l’on vote sur les meilleurs commentaires. Le tout, non pas pour trouver ce que l’on cherche précisément à un moment donné, une tâche plutôt dévolue aux moteurs de recherche, mais pour identifier ce qui est le plus pertinent dans le bruit ambiant, que cela nous intéresse ou non. Au lieu de boire une rivière, cela permet de boire dans un ruisseau. Quoique le ruisseau reste dur à avaler avec son débit de quelques hectolitres à la seconde. Faire la curation du web, de manière automatique comme manuelle, c’est vider le tonneau des Danaïdes ou bien faire bouillir l’océan, au choix. Un jour peut-être, ces outils utiliseront des algorithmes qui rendront leur recommandation très pertinente et sans effort humain.
Le bruit semble s’être sensiblement amplifié depuis que les auteurs de blogs les ont délaissés pour aller alimenter les réseaux sociaux. Ils sont passés de la page (blog) au paragraphe (Facebook) et à la phrase (Twitter), le SMS étant juste derrière mais heureusement plutôt unipersonnel dans sa forme de diffusion usuelle. Cela donne l’impression qu’il y a moins de producteurs de contenus et plus de générateurs de gazouillis (les tweets en français...). Au point que cela renforce paradoxalement le rôle des médias traditionnels, ou tout du moins leur version “en ligne”. Mais le filtre mental que l’on se construit pour échapper au bruit “social” accentue la tendance au zapping dans la consommation des contenus et contribue à réduire l’attention. Cela génère ce que l’on appelle l’Attention Deficit Disorder, un comportement considéré comme pouvant être pathologique pour les enfants dans le système scolaire traditionnel.
Comme l’email, les réseaux sociaux semblent combler un vide relationnel et occupent le temps de leurs utilisateurs. Cela occupe les gens qui n’ont rien à faire en général, tout comme les gens lorsqu’ils n’ont pas grand chose à faire, comme dans les transports en commun. Ce bruit ne constitue visiblement pas tant une gêne que cela. Il procure même une sorte de réconfort dans un monde où la concentration de la population dans les villes génère paradoxalement beaucoup de solitudes. Dans le métro, il est bien rare de démarrer une conversation avec son voisin pour savoir ce qu’il fait dans la vie alors que l’on peut discuter dans les réseaux sociaux avec un tas d’inconnus. Dans les campagnes, on utilise moins les réseaux sociaux, et pas seulement parce que l’ADSL y est difficile d’accès ! Conséquence pernicieuse : la préférence à la consultation du “bruit” par rapport à la lecture linéaire “à l’ancienne” (livres, revues, journaux).
L’autre conséquence du bruit se situe dans l’usage des réseaux sociaux par les marques. Comme les Internautes passent une plus grande part de leur temps à consommer du bruit dans les réseaux sociaux, les marques se disent qu’elles vont pouvoir en profiter pour faire du bruit là où les gens écoutent le bruit. Et cela contribue à amplifier la cacophonie. Il paraît qu’une marque se doit maintenant d’être sur Facebook pour exister et pour entretenir une relation avec ses consommateurs. Mais l’opportunité d’y être vu ne semble pas plus élevée que dans le bruit généré par toute autre forme de publicité ou de communication puisque presque tout le monde ou presque y est. Et si l’interaction avec les vrais gens de la marque est possible, elle est quelque peu illusoire dans les faits et n’est pas très “scalable”. Ce n’est pas parce qu’une personnalité obtient une réponse rapide d’Air France lorsqu’il signale un problème sur Twitter que tous les voyageurs sont ainsi traités ! Et puis, on n’a pas forcément envie d’être en “relation” avec toutes les marques que l’on consomme et de se noyer dans le bruit qu’elles génèrent pour vous vendre plein de choses et vous fidéliser.
Cette consommation du bruit des réseaux sociaux est très variable et assez générationnelle. Le phénomène est évidemment accentué chez les plus jeunes utilisateurs de ces outils. Ils ont reproduit le bruit de la cour de récréation dans les réseaux sociaux. Et aussi le comportement social marginalisant ceux qui restent seuls sur leur banc (les producteurs ?). Résultat : même les producteurs dont je fais partie se mettent à faire du bruit dans les réseaux sociaux, et en frisant parfois la schizophrénie entre le souhait d’apporter une valeur ajoutée dans le retweet et celui de la civilité consistant à citer les sources du lien ou à ajouter un laconique mais synthétique “+1” de plussoiement. Les adolescents d’aujourd’hui peuvent très bien passer tellement de temps dans leur mur Facebook que l’envoi d’un email à leur intention passera inaperçu. Les moins jeunes sont plus passifs qu’actifs dans Facebook et Twitter. Ils reçoivent les demandes d’amis par email et les acceptent, mais ne consultent pas régulièrement leur mur. Ils se gardent bien d’y publier des informations sur leur vie privée, notamment dans leur profil. Mais ces utilisateurs génèrent des pages vues tous les jours qui alimentent les statistiques d’usage mirobolantes de Facebook.
Alors, Google+ est-il la solution ? Le “mur” de l’outil semble aussi bruité que celui de Facebook malgré le tri que l’on peut faire dans ses “amis”. Et ce bruit ne fera qu’augmenter au gré de l’ajout d’Internautes dans l’outil. Cela reste une machine à générer du bruit.
@suivre dans Ils ont pensé le futur...
Spécialiste des médias numériques, Olivier Ezratty conseille les entreprises des métiers de l’image (TV, cinéma, vidéo, photo) pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation dans les dimensions marketing et technologiques. Il intervient aussi bien auprès de grandes entreprises qu’auprès de startups et de fonds d’investissements. Dans son blog Opinions Libres, il décode les mouvements des acteurs de l’industrie des médias numériques et de l’entrepreneuriat et publie notamment son rapport annuel de visite du Consumer Electronics Show de Las Vegas ainsi que le Guide des Startups Hightech en France, mis à jour deux fois par an.
Commentaires