Voilà un extrait de la contribution de Virgie Spiess dans le livre Ils ont pensé le futur : Virginie Spiess est Maître de Conférences à l’universiteé d’Avignon et chef du Département des Sciences de l’Information et de la Communication. Sémiologue de l’image, analyste des médias, télévision, réseaux sociaux et presse people. Elle est l’auteur de “Télévision, presse people : Les marchands de bonheur”, 2008, De Boeck, INA, et “La télévision dans le miroir, Théorie, histoire et analyse des émissions réflexives”, 2004, L’Harmattan.
# Les médias en 2012, une nécessaire convergence
La médiatisation des événements du 11 septembre 2001 fut le signe d’une extrême concurrence entre les chaînes de télévision : il s’agissait de tenir l’antenne, passer en boucle des images qui ne faisaient pas sens. Chaque chaîne diffusait les mêmes images en continu, était d’ailleurs les mêmes réflexes médiatiques que ceux de la guerre du Golfe en 1990. Seulement en 2001, ces médias étaient passés à la vitesse supérieure : ils étaient plus nombreux, la concurrence était accrue, ils étaient désormais fascinés par eux-mêmes, par cette capacité à montrer des attaques terroristes en train de se faire : la monstration était supérieure à l’explication.
Dix ans plus tard, au mois de mai 2011, Dominique Strauss Khan, alors pressenti pour les primaires socialistes en vue de la campagne présidentielle en France, se fait arrêter par la police New-Yorkaise. Il est soupçonneé de viol à l’encontre d’une femme de ménage. On assiste à un déferlement médiatique. Mais cet évènement n’est plus seulement télévisuel, il se joue dans des lieux qui n’existaient pas lors des attentats de 2001 : les réseaux sociaux, et plus précisément Twitter. Alors qu’on attendait, dix ans plus tôt, d’être informés par la presse écrite, la radio et surtout la télévision, tout semble avoir changé: les usagers de Twitter sont informés avant certains journalistes français de ce qu’il se passe à New-York, les audiences de l’homme politique sont suivies depuis la France par le même réseau, et on constate que certaines chaînes n’ont encore aucune idée de la capacité de ces réseaux à aller plus vite que les dépêches d’agence. Les audiences de DSK sont suivies en « temps réel », et quelques chaines de télévision en sont rendues à lire les messages Twitter de leurs journalistes.
D’aucuns diront qu’il est abusif de comparer le 11 septembre 2001 à l’affaire DSK, il ne s’agit cependant pas ici d’une comparaison quant aux évènements eux-mêmes, mais d’une réflexion sur leur médiatisation, et sur celles de demain. Car beaucoup de choses furent dites au moment de l’affaire DSK : était la fin du journalisme, nous étions désormais dans l’ère du temps réel, l’avenir allait passer par les réseaux, plus besoin de spécialistes, et j’en passe.
Si la médiatisation de ces deux évènements nous a montré que nous sommes désormais dans une ère médiatique d’extrême concurrence entre les médias, celle de l’affaire DSK est certainement le signe de ce que seront les médias de demain.
Vers une convergence des médias Le premier élément apparaît comme une évidence : les médias de demain seront ceux qui savent et qui sauront faire converger les différents moyens médiatiques à leur disposition. Il ne s’agit pas de faire voter des téléspectateurs par SMS pour éjecter un pauvre candidat de télé-réalité via un numéro surtaxé, cela existe depuis dix ans. Les médias qui tireront leur épingle du jeu seront ceux qui, appuyés sur une identité forte, auront compris qu’aucun moyen de communication ne peut désormais être négligé. Non seulement les chaînes de télévision ne peuvent ignorer le web et son pouvoir, mais en plus, elles doivent en connaître les spécificités, et savoir l’utiliser à différents niveaux.
C’est le cas par exemple de nombreux programmes qui, au-delà du fait qu’ils se déclinent sur le web comme une marque, doivent tenir compte du phénomène Twitter et du live-tweet. Cette pratique téléspectatorielle consiste à regarder une émission tout en communiquant nos impressions sur Twitter. Les programmes les plus commentés sur Twitter sont souvent des programmes de divertissement, mais aussi des programmes politiques, ainsi que des émissions sportives. Les chaînes ont ici plusieurs choix : nier l’évidence et ne pas tenir compte de ce que disent les Internautes (c’est pour l’instant le plus souvent le cas), essayer d’induire des comportements en créant un compte officiel, et en communiquant avec les personnes qui participent au live-tweet, ou encore pratiquer simplement une sorte de veille, afin d’observer ce qui se dit sur le programme.
Même si la majorité des personnes regardant les émissions n’est pas sur Twitter, les chaînes ne peuvent sous-estimer le pouvoir de ce discours, notamment parce qu’il existe dans cette communauté un grand nombre de journalistes spécialisés dans le domaine des médias, de blogueurs ou plus simplement de personnes dont l’avis compte dans la sphère médiatique. Les paroles, les discussions à propos des programmes sont donc ensuite largement relayées dans d’autres médias, remettant au goût du jour la « Two step flow theory » de Paul Lazarfeld, qui explique que l’influence des médias s’opère en deux temps, le message étant délivré dans un premier temps, puis repris par un leader d’opinion, qui fera partager son opinion à un public plus large. Les « grands médias » doivent donc tenir compte des discours qui s’opèrent dans la sphère du web, et ne pas sous-estimer ce nouveau pouvoir.
Plus largement encore, et si l’on s’intéresse au domaine de l’information, il est évident que les chaînes de télévision doivent tenir compte de la parole des journalistes lorsqu’elle s’exprime ailleurs que dans les chaînes elles-mêmes. Comment un média (qu’il s’agisse de télévision, radio ou presse écrite) peut-il interdire à un journaliste d’utiliser les réseaux sociaux ? L’univers de l’Internet est associé à l’image de la démocratie, et il n’est pas possible de revenir en arrière. Dès lors, les institutions médiatiques vont devoir entendre et admettre que lorsque leurs journalistes s’expriment sur les réseaux, ils le font certes en leur nom propre, mais également au nom de l’institution qui les rémunère, ce qui entraîne un bouleversement pour les médias, et pour les individus eux-mêmes........
@suivre dans "Ils ont Pensé le Futur"
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