De la publicité à la défense nationale, de nombreux secteurs devraient être touchés par le raz de marée du Big Data. Le but : tout connaître de ses clients, de ses usagers ou... de ses ennemis.
1- MARKETING, UNE COMMUNICATION SUR MESURE
Grâce au Big Data, le publicitaire sait tout de l'internaute : âge, profession, goûts, habitudes, aspirations. Cette micro-segmentation est le fruit d'un large recoupement, où sont mixées des informations classiques (âge, catégorie socioprofessionnelle) et des données "non structurées" (tweets, blogs, vidéos, navigation Internet...). Le progrès : l'annonceur est capable de toucher de nouvelles populations à moindre coût. "Aux Etats-Unis, un distributeur de produits ménagers a pu repérer que les cadres qui retrouvaient un travail conservaient les habitudes d'achat de certaines marques qu'ils avaient prises lors de leur période de chômage", raconte Patrice Poiraud, responsable Big Data chez IBM.
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Cette révolution change la façon dont la publicité est vendue et bouscule les acteurs traditionnels du secteur, comme Havas ou Publicis. "Les annonceurs achètent désormais des comportements", explique Christine Removille, responsable de l'activité Analytics au cabinet de conseil Accenture. Les opérateurs de télécommunication Verizon et Telefonica vendent des informations extraites des mobiles des individus. Des start-up innovent. "Comme la société Chef Jérome, qui fait de l'intermédiation entre les sites de cuisine, comme Marmiton, et les enseignes, en indiquant au client où acheter les produits dont il a besoin pour ses recettes", cite Gilbert Grenier, du cabinet de conseil PwC.
2- COMMERCE, DES OFFRES PERSONNALISÉES EN SUPERMARCHÉ
La révolution commence sur Internet. Le distributeur en ligne Amazon sait proposer au client les articles qui l'intéressent mais auxquels il n'aurait jamais pensé. Comment ? En analysant, grâce à de puissants algorithmes, les millions de données disséminées par les internautes.
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Le Big Data change aussi la donne en magasin. En agrégeant les informations de vente des produits dans les supermarchés, l'institut GFK est capable de tirer des conclusions sur le meilleur agencement possible dans les linéaires. Mieux, comme sur Internet, les enseignes commencent à faire des offres sur mesure. "Nous analysons entre 2,5 milliards et 3 milliards de paniers d'achats. A partir des historiques sur les cartes de fidélité, nous déterminons les besoins du client, et proposons des promotions personnalisées sur les tickets de caisse", explique William Faivre, PDG de Catalina, société de marketing. Une vieille ficelle du commerce à la sauce Internet.
3- ÉNERGIE, EN FINIR AVEC LE GASPILLAGE
L'analyse de données pourrait aider à résoudre le premier problème de la production d'électricité : la difficulté de son stockage, qui accroît le risque de pénurie en cas de forte demande. Pour l'instant, les calculs de prévisions de production sont basés sur la consommation de l'année précédente. L'analyse de données permettrait de faire ce type de calcul en temps réel. Surtout, "grâce à des capteurs insérés dans les réseaux, on pourra identifier des pertes en ligne, qui coûtent des milliards de dollars", note Gilbert Grenier, consultant chez PwC.
Côté client, les compteurs intelligents qui analysent la consommation en temps réel pourraient aider "à mieux consommer, en programmant des machines à laver aux heures creuses, ou en régulant mieux le chauffage", affirme Roxane Edjlali, analyste chez Gartner.
Dans les énergies alternatives, Vestas utilise le Big Data pour déterminer où implanter ses parcs d'éoliennes, grâce à un logiciel où sont analysées données météo, phases de lune, marées, cartes satellites, déforestation. L'idée, encore une fois, c'est d'optimiser le rendement.
4- RECRUTEMENT, RÉDUIRE LA PART DE HASARD
En France, 7 millions de personnes ont leur CV sur Viadeo, et 5 millions sur LinkedIn, les deux principaux réseaux sociaux professionnels. Des millions d'informations sur les compétences, les expériences et les aspirations de la France au bureau sont désormais disponibles sur la Toile, alors qu'elles étaient jusque-là cachées dans des annuaires d'écoles ou dans des bases de données privées. Principal apport des réseaux sociaux professionnels : ils automatisent des tâches qui étaient, jusqu'à présent, effectuées manuellement par les entreprises ou les cabinets de recrutements, comme l'identification et le tri des CV.
Mais ce n'est pas tout. "Si une société combine ces informations avec des données démographiques sur les bassins d'emplois, elle peut mieux choisir où s'installer", indique Emmanuelle Olivié-Paul, de l'institut d'études Markess International. Enfin, la mine d'informations nichées sur ces CV virtuels permet aux entreprises d'analyser de nouvelles tendances, ou de détecter de nouveaux marchés.
5- INFORMATION, ANALYSER CE QUI FAIT "LE BUZZ"
Dans l'information, le Big Data pousse au bout la logique de l'audience poursuivie par les sites Internet, qui vivent de la publicité. Pour attirer un maximum de monde, ces derniers cherchent à être bien référencés dans Google. Or le moteur de recherche privilégie les thématiques les plus populaires auprès des internautes. Résultat, pour plaire à Google, les sites commencent par analyser ce qui fait "le buzz". Ils déterminent ensuite les papiers à produire. Parmi les adeptes de cette méthode, le site pour adolescents Melty. Ce "Google journalisme" a d'ailleurs tendance à réduire la variété des informations traitées.
Aspect positif du Big Data : le "journalisme de données", qui a conquis ses lettres de noblesse avec Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks. En 2010 et 2011, son site a publié des centaines de milliers de documents sur l'armée américaine en Irak et en Afghanistan, et des télégrammes issus des ambassades. Pris individuellement, ces documents n'avaient pas grande signification. Leur analyse à grande échelle a éclairé l'histoire sous un nouveau jour. Depuis, les journaux s'essaient eux aussi à l'analyse de données pour réinventer l'investigation.
6- SÉCURITÉ, DÉTECTER LES SIGNAUX FAIBLES
Repérer un futur Mohamed Merah, empêcher tout acte de terrorisme, détecter les fraudes et les épidémies, voilà ce que peut apporter le Big Data en matière de sécurité nationale. "Il s'agit de trouver des corrélations entre des informations qui n'ont a priori rien à voir", explique Roxane Edjlali, du cabinet d'études Gartner.
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Aux Etats-Unis, la société YarcData représente graphiquement les relations entre des personnes, des lieux et des événements, au bénéfice du département de la défense notamment. Le but ? "Détecter ce qui paraît anodin mais ne l'est pas", lit-on sur le site. Ici, ou ailleurs, "il s'agit d'analyser le niveau de risque à partir de signaux faibles", explique Gilbert Grenier, chez PwC.
En France, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) va plus loin et collecte les signaux émis par les ordinateurs et les téléphones portables. Elle stocke, dans une immense base de données, mails, SMS, données de Facebook et de Twitter (Le Monde du 4 juillet). Les Etats-Unis ne sont pas en reste. La National Security Agency (NSA) vient de dépenser 2 milliards de dollars (1,5 milliard d'euros) pour construire un "data center" géant dans l'Utah et héberger les données dont elle dispose sur les citoyens du monde entier.
En mer, les sous-marins "utilisent le Big Data pour analyser les ondes et détecter en amont s'ils ont affaire avec un ami ou un ennemi", explique Patrice Poiraud, d'IBM France.
7- TRANSPORTS, COMPRENDRE LES EMBOUTEILLAGES
Pas moins de 5,53 milliards d'euros par an : c'est le coût des embouteillages en France chaque année, selon un rapport du Center for Economics Business Research, publié en décembre 2012. Le coût direct (surconsommation de carburant et temps de travail perdu) pèse 3,88 milliards d'euros, tandis que le solde représente la hausse des prix occasionnée par les encombrements routiers. La solution se trouve peut-être dans les millions de données que collectent les GPS qui équipent automobiles et smartphones, et les péages ou capteurs installés le long des routes.
En avril 2011, le géant américain IBM a signé un partenariat avec le département des transports de Californie (Caltrans) pour développer un système capable de guider en temps réel les automobilistes vers le trajet le plus rapide, le plus économique ou le plus écologique... Dans un second temps, il aidera les autorités à concevoir des réseaux de transports plus adaptés aux besoins et aux comportements des utilisateurs.
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8- BANQUE, DES DONNÉES EN OR
Aujourd'hui, la "segmentation bancaire" (la typologie des clients établie par les banques) reste établie sur des critères démographiques et financiers (âge, niveau d'éducation, urbain ou rural, revenus et patrimoine), et l'offre en produits bancaires demeure standardisée. Demain, ces pratiques pourraient être révolutionnées. Les transactions effectuées par les clients (comptes courants, cartes bancaires, chèques, retraits) livrent en effet des renseignements précis aux banques : biens et services achetés, commerces et lieux fréquentés, dates et heures des opérations, etc. "Les banques possèdent autant de données à fort contenu comportemental que les autres industries de données que sont les télécoms et la grande distribution, souligne Elias Baltassis, directeur Big data et analytics au Boston Consulting Group. Les "nouvelles" données (réseaux sociaux, Web) constituent un gisement intéressant mais la vraie valeur pour elles réside dans l'exploitation innovante de leurs "vieilles" données."
L'analyse de ces transactions permettrait aussi de mieux gérer les risques individuels. "Les banques européennes sont assises sur un trésor et ont les moyens d'en tirer le meilleur profit. L'enjeu est de proposer des offres plus adaptées aux besoins des clients tout en gérant mieux les prix et les risques", renchérit Axel Reinaud, directeur associé de BCG. Pour doper leurs revenus, les banques pourraient aussi céder ces fichiers à des tiers sous réserve que les données soient anonymisées.
9- ASSURANCE, MIEUX ÉVALUER LES RISQUES
Les compagnies d'assurances ne disposent pas de la mine d'or des banques, mais peuvent exploiter les données d'Internet ou nouer des partenariats avec les banques, les opérateurs de télécommunications, etc. La gestion des sinistres pourrait, de fait, être optimisée grâce à l'amélioration de la prévoyance (statistiques mondiales sur la fréquence et le coût des sinistres) ou la détection des fraudes. L'utilisation des données des banques permettrait d'ajuster la politique commerciale, celles des opérateurs de télécoms de "géolocaliser" les clients pour leur offrir les assurances ciblées : un texto vantant les mérites d'une protection contre les accidents de ski pour un client en partance pour les Alpes... Les objets connectés ouvrent aussi des perspectives pour les assureurs, sous réserve qu'ils se mobilisent sans délai. A l'heure du "Pay as you drive" - qui revient à adapter la prime d'assurance au comportement du conducteur - les constructeurs automobiles pourraient être tentés de développer leurs propres assurances, via leurs filiales financières.
10- SANTÉ, BIG DATA POUR BIG PHARMAS
Le système de santé américain pourrait économiser 100 milliards de dollars, rien qu'en analysant ses données. Cette estimation du cabinet de conseil McKinsey s'appuie sur les améliorations que pourrait apporter le Big Data dans le domaine de la recherche et des essais cliniques, le développement d'outils permettant aux patients, aux médecins, aux assureurs, mais aussi aux autorités d'optimiser la consommation de soins.
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La révolution a commencé dans les laboratoires pharmaceutiques. Les "Big Pharmas" se sont dotés de logiciels capables de modéliser des processus biologiques complexes ainsi que l'action potentielle des molécules. But : identifier très rapidement celles qui feront de bons médicaments et écarter les moins prometteuses. Mieux, selon McKinsey, on devrait bientôt pouvoir séquencer un génome entier pour 100 dollars en un temps record.
En attendant, les réseaux sociaux permettent de constituer des groupes de patients plus cohérents, davantage susceptibles de répondre positivement à une thérapie ciblée. Autre source d'économie : la possibilité de suivre les participants en temps réel à distance, avec des smartphones, un protocole bien moins onéreux qu'un suivi au long cours à l'hôpital.
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