Le magazine Stratégies / Transitions a publié un N° Hors Série en Juillet Août. Dans ce numéro, j'ai écrit un article sur L'art de la Sérendipité. Le voilà :
La sérendipité, c’est trouver – par un hasard heureux – ce que l’on ne cherchait pas. Henri Kaufman a consacré un livre à ce bien précieux, à l’origine de nombreuses inventions.
Les trois Princes de Serendip (l’ancien nom du Royaume de Ceylan, qui s’appelle maintenant le Sri Lanka) seraient fort étonnés s’ils revenaient parmi nous aujourd’hui : la sérendipité, ils la vivaient sans le savoir ; leur histoire a été narrée dans un conte persan au XVième siècle, traduit en anglais au XVIIIième siècle, et plus ou moins plagié par notre Voltaire national dans Zadig. Alors c’est quoi, la sérendipité que tout le monde a pratiquée un jour ou l’autre sans le savoir ? C’est tout simplement trouver – par un hasard heureux – ce que l’on ne cherchait pas. Et c’est exactement ce qu’ont fait ces trois Princes tout au long de leurs aventures. Leur sens de l’observation, leur générosité, leur goût du risque et leur intuition les ont aidés à résoudre mille difficultés et à se sortir de situations désespérées mettant en scène moult princesses et dragons. Sans le savoir, ces trois Princes appliquaient aussi la philosophie d’Héraclite qui vivait en Grèce 2500 ans avant JC. Je conseille d’ailleurs à tous les créatifs le délicieux livre « Espérer l’Inespérable - Vivre selon Héraclite » de Roger von Oech paru à La Table Ronde.
La sérendipité c’est un style de vie, une manière nonchalante mais efficace de résoudre des problèmes, en attendant que la solution vienne toute seule, différente de ce que la pure logique aurait délivrée. On reconnaît le touriste qui ne pratique pas la sérendipité au fait qu’il est bardé de guides, de cartes, de plans, de fiches, d’adresses… A l’inverse, celui qui pratique la sérendipité part à l’aventure, voyage léger et est toujours prêt à changer son itinéraire… Il va où ses pieds le mènent.
Personnellement, j’ai – sans le savoir - rencontré la sérendipité pour la première fois quand j’étais ado, en fréquentant la bibliothèque municipale du 3ième arrondissement à Paris. Chaque titre disponible était inscrit sur une fiche bristol, et ces fiches étaient classées par auteur dans des boites, genre carton à chaussures. Après avoir choisi son livre pour la semaine, on allait vers un comptoir derrière lequel officiait la bibliothécaire, qui allait le chercher dans les rayons. Mais, un jour, le comptoir disparut : les lecteurs avaient désormais accès aux rayonnages de livres. Ils pouvaient toucher les livres, puis les choisir après avoir lu quelques lignes ou pages, découvrant ainsi de nouveaux auteurs… qu’ils ne cherchaient pas. Ce nouveau système de choix, faisant confiance au « client » était le fruit de la tendance issue du self service ; les commerçants avaient compris que les déambulations de leurs clients dans les rayons des magasins augmentaient le panier moyen en favorisant l’achat de produits qui n’étaient pas inscrits sur la fameuse « liste de courses ». Même le Club Med avait compris l’intérêt des buffets en self service et des tables de 8 qui permettaient de faire connaissance avec les autres « GM », invention prémonitoire du speed dating ( !).
La fréquentation d’Internet et l’utilisation des moteurs de recherche nous a appris à naviguer de lien en lien, à l’instar de Tarzan qui allait de liane en liane. Après quelques minutes de navigation, l’internaute curieux et attentif découvre une pépite qui lui fait oublier l’objet de sa recherche initiale, et cette pépite le conduit à une reformulation de son objectif, bien meilleure que la formulation initiale. Google d’ailleurs nous encourage à aller « ailleurs » en pratiquant une serendipitéprogrammée.
La sérendipité est un état d’esprit que partagent nombre de scientifiques, de créatifs et de marketers ; ils ont l’habitude de vagabonder, en sautant par-dessus les murailles érigées dans leur cerveau par notre modèle scolaire, sans oublier leurs rêves d’enfants, et en ouvrant grand les portes de silos étanches pour connecter des concepts qui s’ignoraient, et en rapprochant des univers disjoints.
De nombreuses découvertes ont ainsi été le fruit d’un hasard heureux rencontrant un esprit préparé. Par exemple : le post-it, le velcro, le four à micro-ondes, le stéthoscope, la superglue, le viagra, le téflon, les antibiotiques, les rayons X, la radioactivité naturelle, l’insuline,… Sans oublier les manuscrits de la Mer Morte, la Pierre de Rosette, la grotte de Lascaux, l’armée chinoise enterrée…, et le Sauternes, le Carambar, et la fameuse tarte des sœurs Tatin !
Voilà maintenant quelques exemples personnels. Je suis allé, dans les années 70, aux US pour étudier sur place l’implantation des magasins d’électro-ménager ; et j’en suis revenu avec le concept …de la garantie Darty au-delà de la garantie constructeur. L’idée initiale était d’ailleurs de créer un fichier client avec les souscripteurs, non pas de vendre de l’assurance ! J’ai également trouvé le thème de la campagne que nous a demandé Albert Uderzo pour vendre le personnage Astérix en passant devant un tailleur de pierres : nous enverrons aux marketers ciblés un pavé en granit numéroté avec le slogan : Obélix a cassé son menhir en mille morceaux ! Et voilà comment je mets en œuvre la serendipité dans ma vie personnelle. Je suis entré un jour dans un magasin de meubles design pour acheter un fauteuil. Le vendeur me dit que le prix est très élevé car il s’agit d’un fauteuil de créateur. Du coup, cela me donne l’idée de dessiner toute une ligne de meubles pour meubler ma maison et la diffuser en galerie (Ligne « Minimals »). En écoutant les réactions des gens regardant mes meubles, j’ai eu l’idée de dessiner des sculptures aux proportions du nombre d’or, en jouant sur les illusions d’optique. Je me suis mis en tête en effet de voir quelle est la couleur …du hasard. Ou comment rendre visible l’invisible. Ainsi, avec un ami nous réalisons des tableaux sous forme de mosaïques aléatoires ; le résultat est un peu décevant. Alors, nous réalisons des tableaux de nombres irrationnels tels que racine de 2, Pi, le nombre d’or, etc. La serendipité m’a également accompagné quand j’ai voulu acheter une maison en Bretagne. L’agence m’a demandé des détails. A court d’inspiration, je lui ai répondu que je voulais une maison avec un pommier et un tilleul. La deuxième maison que l’on m’a présentée possédait son pommier et son tilleul. Du coup, je l’ai achetée immédiatement …sans même la visiter !
En conclusion : la sérendipité est une réïfication de la chance. Elle nous fait quitter gentiment notre zone de confort tout en alimentant notre curiosité qui est le carburant de notre joie de vivre. La Sérendipité , c’est le nouveau mot qui peut guider votre vie. Evitez de courir sur des chemins qui mènent à des culs-de-sac. Ruminer le passé ne sert à rien. Regardez vers l’avenir. Et n’oubliez pas que le beau temps succède toujours à la pluie. Ne fermez ni vos yeux ni vos oreilles : la chance est peut-être en train de passer derrière vous. Donnez avant de recevoir, soyez généreux. Imprévu, impondérable, changement de programme : ce sont peut-être de bonnes surprises. Parce que la fée Serendipité veille sur vous, croyez en votre bonne étoile. Intéressez-vous à toutes les choses qui paraissent insolites ou inhabituelles. Tirez parti des bonnes choses de la vie. Et pensez en permanence à la sérendipité !
Le tableau "graffiti" est important à mes yeux. L'avez-vous déchiffré ? Pour en savoir plus : Ed.Kawa
Commentaires